La preuve était insuffisante
Frank Zampino, Paolo Catania et quatre coaccusés sont acquittés des accusations de complot, de fraude et d’abus de confiance
Le dossier du Faubourg Contrecoeur, qui avait entaché le règne de Gérald Tremblay, a connu son dénouement mercredi avec l’acquittement des six accusés dans cette affaire, parmi lesquels Frank Zampino et l’entrepreneur Paolo Catania. Le juge Yvan Poulin a estimé que la preuve présentée par la Couronne n’avait pas permis de démontrer que les accusés avaient sciemment participé à un stratagème frauduleux.
Martin D’Aoust, Pasquale Fedele, André Fortin et Pascal Patrice, tous des employés de Construction F. Catania au moment des faits, sont les autres accusés qui ont été blanchis.
L’ancien président du comité exécutif de la Ville de Montréal Frank Zampino faisait face à des accusations de fraude, de complot et d’abus de confiance. La Couronne alléguait qu’il avait comploté avec ses coaccusés afin de favoriser l’entreprise Construction F. Catania pour la vente d’un terrain de la Ville par la Société d’habitation et de développement de Montréal (SHDM). Cette transaction a permis la réalisation du projet immobilier du Faubourg Contrecoeur.
Au terme d’un procès qui a duré plus de deux ans et au cours duquel soixante-trois témoins ont été entendus, le juge Poulin a souligné que de nombreuses assertions de la poursuite n’étaient pas soutenues par la preuve.
Ainsi, la preuve n’a pas démontré que le prix de vente du terrain du Faubourg Contrecoeur, un enjeu au coeur de ce procès, était le fruit de malversations, a souligné le juge. De même, «le tribunal ne peut conclure que les coûts de réhabilitation du site ont été malhonnêtement gonflés, et ce, à la connaissance des accusés», écrit-il.
Le juge Poulin a également mis en relief les faiblesses du témoignage de l’ingénieur Michel Lalonde, ancien p.-d.g. de la firme Génius Conseil.
Rappelons que la SHDM avait cédé le terrain pour 19,1 millions de dollars à Construction F. Catania en 2007. La facture avait cependant été réduite de 14,6 millions, en raison notamment des frais de décontamination, qui selon la Couronne auraient été surévalués.
Des accusations avaient aussi été portées contre l’ancien directeur général de la SHDM Martial Fillion et Daniel Gauthier, président de la firme d’urbanisme Groupe Gauthier Biancamano Bolduc (GGBB). M. Fillion est décédé en 2013 et Daniel Gauthier a plaidé coupable au début du procès. Quant à Bernard Trépanier, ex-collecteur de fonds d’Union Montréal, il doit subir un procès séparé étant donné ses problèmes de santé.
Selon le juge, il est incontestable que Martial Fillion et Daniel Gauthier ont commis des malversations dans le cadre du projet Contrecoeur, mais rien ne démontre que les accusés en avaient eu connaissance.
Zampino soulagé
La Couronne envisage de porter le verdict en appel. «Vous comprendrez que ce n’est pas le jugement que nous attendions », a commenté la procureure de la Couronne, Me Nicole Martineau. «Nous avons présenté une preuve complète, suffisante. Nous prenons acte du jugement. Nous allons prendre le temps de l’évaluer et nous verrons pour la suite des choses.»
Me Martineau n’a pas voulu se prononcer sur le procès en cours portant sur l’enquête Fronde, dont l’un des accusés est Frank Zampino.
Aucun des accusés n’a voulu répondre aux questions des journalistes. Me Isabel Schurman, qui représente Frank Zampino, a toutefois lu une déclaration au nom de son client: «Son intime conviction a toujours été qu’il n’aurait jamais dû être accusé dans cette affaire. Se défendre dans une cause aussi médiatisée a représenté un stress émotif et financier immense pour sa famille. Aujourd’hui, il est soulagé. »
Le verdict a suscité l’étonnement dans les rangs politiques. Le chef péquiste, Jean-François Lisée, s’est dit frustré de ce dénouement, d’autant que d’autres procès sont en cours, dont ceux de Nathalie Normandeau et de MarcYvan Côté. « Comme citoyen, je suis un peu découragé que les condamnations ne soient pas au rendez-vous alors que les causes me semblaient assez solides », a-t-il dit.
La CAQ invite le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) à sérieusement considérer un appel du jugement. « La population doit avoir confiance dans les institutions», a fait valoir le député caquiste Simon Jolin-Barrette.
Le député libéral Robert Poëti estime pour sa part que la justice a parlé: «Les gens font leur travail. […] La justice a déclaré un verdict. On doit l’accepter. »
Le député de Québec solidaire Amir Khadir ne digère pas le jugement: «Je ne peux pas vraiment traduire l’ampleur de ma déception. […] Il y a quelque chose dans le système qui n’a pas fonctionné. Ça entache sérieusement la crédibilité de notre système dans son ensemble. »
Et les autres procès?
Le dossier était complexe et la poursuite devait convaincre le juge hors de tout doute raisonnable de la culpabilité des accusés avec de la preuve circonstancielle, résume l’avocat criminaliste Walid Hijazi. Mais elle n’a pas réussi à atteindre son but. «La qualité de la preuve n’était pas assez bonne pour conclure que c’était uniquement et nécessairement malhonnête. »
Cela ne signifie pas que les autres grands procès sont en péril, prévient Walid Hijazi. «Il ne faut pas tirer de généralités d’un procès, surtout pas d’un procès comme celui-ci, où le juge a tiré des conclusions en fonction de la preuve qu’il avait devant lui », dit l’avocat.
N’empêche que dans la cause de Bernard Trépanier, la poursuite devra peut-être s’interroger sur l’opportunité de maintenir les accusations puisque la preuve semble être sensiblement la même. « Un autre juge qui examinera la même preuve risque de tirer les mêmes conclusions », avance Walid Hijazi.
Le jugement n’étonne pas l’avocat criminaliste Charles B. Côté. «Les accusés ont témoigné. Ils ont offert des explications que le juge a retenues comme étant crédibles et plausibles et qui reposaient sur du concret, contrairement à la position de la poursuite qui était basée sur des présomptions », a-t-il signalé.
En 2015, le commissaire de l’Unité permanente anticorruption (UPAC), Robert Lafrenière, avait qualifié le procès Contrecoeur d’«emblématique» et de «moment charnière» pour son organisation. Il s’agissait de l’un des premiers dossiers d’envergure traités par l’UPAC. «Peut-être y a-t-il eu une pression indue pour qu’on arrive à un résultat, ce qui a peut-être fait perdre un peu d’objectivité [à la poursuite] », suggère Charles B. Côté.