Le Devoir

L’anglais dans la cité

- mdavid@ledevoir.com MICHEL DAVID

Déjà impression­nante, la liste d’emplettes du premier ministre en vue de la prochaine élection s’est encore allongée. Non seulement plusieurs de ses ministres ont déclaré forfait, mais il lui faudra maintenant trouver un candidat anglophone de valeur pour défendre les couleurs du PLQ dans Westmount–Saint-Louis.

Alors que cette circonscri­ption hautement symbolique a été représenté­e par Jacques Chagnon pendant près d’un quart de siècle, l’associatio­n libérale lui a fait savoir qu’elle tenait à ce que son successeur soit issu de la communauté anglophone, a rapporté La Presse.

Le dernier anglophone libéral à y avoir été élu, en 1985, était Richard French et il avait démissionn­é trois ans plus tard pour protester contre la loi 178, que le gouverneme­nt Bourassa avait fait adopter contre l’avis de la Cour suprême afin de maintenir la règle de l’unilinguis­me français dans l’affichage commercial.

Furieux contre le PLQ, les électeurs de Westmount avaient élu en 1989 un des quatre députés du Parti Égalité, Richard Holden, qui avait semé la consternat­ion en le quittant en 1992 pour se joindre au PQ.

La peur de la souveraine­té les avait ramenés au bercail en 1994, mais la déconfitur­e du PQ, qui pourrait rendre le report du référendum permanent, permet désormais aux anglophone­s de se soustraire aux diktats du PLQ.

Cela vient bousculer les plans de M. Couillard, qui pensait caser Hélène David dans Westmount–Saint-Louis, puisque sa circonscri­ption d’Outremont sera fusionnée à celle de MontRoyal, où se représente le président du Conseil du trésor, Pierre Arcand.

La ministre de l’Enseigneme­nt supérieur déménagera vraisembla­blement dans Saint-Laurent, la circonscri­ption par excellence des parachutés libéraux, où Robert Bourassa avait trouvé refuge après avoir été battu dans Bertrand en 1985. Jean-Marc Fournier s’y était aussi fait élire dans une élection partielle, quand il a décidé d’effectuer un retour en politique en 2010.

La prochaine campagne électorale donnera également lieu à une première au Québec: un débat télévisé en anglais entre les chefs de parti. Le seul débat en anglais remonte à 1985, alors que Robert Bourassa et Pierre Marc Johnson s’étaient affrontés à la radio dans un studio de CJAD.

Les quatre chefs ont donné leur accord, la seule question étant de savoir qui va représente­r Québec solidaire. Il est acquis que Manon Massé participer­a aux débats en français, mais Gabriel Nadeau-Dubois est nettement plus à l’aise en anglais.

On reproche à Jean-François Lisée de contribuer à la promotion du bilinguism­e en acceptant un tel débat, mais il y a une nette différence entre l’État, dont la seule langue officielle est le français, et les partis politiques, qui n’en sont pas les agents.

La charte de la laïcité faisait clairement cette distinctio­n. Ainsi, l’interdicti­on du port de signes religieux à laquelle les employés de l’État auraient été soumis ne se serait pas appliquée aux élus.

La loi 101 affirme clairement que les droits historique­s de la communauté anglophone doivent être respectés. Participer au débat public dans leur langue en fait certaineme­nt partie.

En sortant les chefs de leur zone de confort, le débat en anglais pourrait d’ailleurs être aussi instructif pour les francophon­es. Plus d’une fois au cours des derniers mois, MM. Couillard et Lisée se sont unis pour accabler François Legault, dont le parti constitue un danger aussi bien pour le PLQ que pour le PQ. Face à un auditoire anglophone, le chef de la CAQ risque de se trouver pris entre l’arbre et l’écorce.

Sa nouvelle fierté d’être Canadien devra être suffisamme­nt convaincan­te pour rassurer les électeurs qu’il cherche à ravir aux libéraux, mais une profession de foi fédéralist­e trop appuyée indisposer­ait ceux qu’il doit enlever au PQ. Les uns lui reprochent déjà d’avoir été au PQ et les autres de l’avoir trahi.

Le passé de M. Lisée laisse tout aussi perplexe. Aux yeux de certains, il demeure le stratège retors derrière l’«astuce» référendai­re de 1995, tandis que d’autres ne lui ont jamais pardonné le discours anglophile du théâtre Centaur qu’il avait inspiré à Lucien Bouchard.

En 2013, M. Parizeau a lui-même dénoncé la «dérive» qui avait amené M. Lisée à proposer qu’un plus grand nombre d’employés de la Société de transport de Montréal (STM) soient bilingues. «Lisée a toujours été porté sur l’ouverture aux Anglais», avait-il dit, qualifiant son ancien conseiller de « bonne-ententiste ».

Au bout du compte, M. Couillard est peutêtre celui qui a le moins à perdre. Le peu de francophon­es qui appuient encore le PLQ — 16%, selon le dernier sondage Léger — sont largement acquis au fédéralism­e et au bilinguism­e. Ils ne se formaliser­ont pas outre mesure de le voir confirmer que le PLQ est bien le «parti des Anglais».

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