Le Devoir

Liberté économique et liberté de presse vont de pair

- KEVIN BROOKES PATRICK DÉRY Analystes en politiques publiques de l’Institut économique de Montréal (IEDM)

Soixante-cinq journalist­es ont perdu la vie en exerçant leur métier l’an dernier, selon Reporters sans frontières. Le dernier rapport de l’organisme dresse d’ailleurs un portrait sombre de l’état de la liberté de la presse à travers le monde.

Les vertus de la liberté de la presse sont aujourd’hui largement reconnues. Cette liberté, qui implique que les journalist­es puissent pratiquer leur métier sans entraves, est une composante indispensa­ble d’une démocratie où les droits et libertés individuel­les des citoyens sont respectés. Ce qu’on sait moins, c’est que la liberté économique (liberté de se lancer en affaires, respect du droit de propriété, ouverture au commerce internatio­nal, etc.) favorise l’apparition de la liberté de presse. En fait, elle est même une condition nécessaire à son apparition.

La naissance de la liberté de presse est étroitemen­t associée au développem­ent de l’économie de marché: la première gazette publiée régulièrem­ent a été imprimée en 1605 par le Strasbourg­eois Johann Carolus, qui a vu l’occasion entreprene­uriale que représenta­it la diffusion de nouvelles par l’intermédia­ire de la poste.

Une étude que l’IEDM vient de lancer aujourd’hui confirme le lien significat­if et fort qui existe entre ces deux libertés encore aujourd’hui.

Deux libertés qui vont de pair

Depuis que les mesures de la liberté économique et politique existent, on n’a jamais observé de cas de sociétés démocratiq­ues et respectant les droits individuel­s sans un minimum de liberté économique. Dans une véritable économie de marché, un ardent défenseur du socialisme aura toujours la possibilit­é de trouver des donateurs, des investisse­urs, ainsi que des clients pour financer la diffusion de ses opinions. En revanche, dans une économie contrôlée par le gouverneme­nt, les opinions divergente­s auront plus de difficulté à trouver leur chemin en raison des obstacles bureaucrat­iques, de la difficulté à trouver un financemen­t ou même de la censure.

Un bon moyen de faire taire un journal, une station de télévision ou un site Web est de le taxer ou de le réglemente­r étroitemen­t. Plus un pays est libre sur le plan économique et facilite l’entrée des nouveaux acteurs sur un marché (ce qui signifie moins de profession­s réglementé­es et de barrières de toutes sortes), plus il y a des chances que la presse soit libre, et ce qui vaut pour les entreprise­s en général vaut aussi pour les entreprise­s de presse.

C’est d’ailleurs ce que les données colligées dans le cadre de notre étude révèlent: de manière générale, plus la liberté économique d’un

«Un bon moyen de faire taire un journal, une station de télévision ou un site W eb » est de le taxer ou de le réglemente­r étroitemen­t

pays est grande, plus la liberté de la presse est importante.

On constate cet effet dans les pays d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord. À l’inverse, des pays dont le degré de liberté économique est faible, comme le Venezuela, la Bolivie, l’Argentine ou l’Algérie, présentent aussi un faible niveau de liberté de la presse. En contrôlant et en réglementa­nt davantage leur économie depuis une quinzaine d’années, les gouverneme­nts de ces pays ont contribué à réduire fortement la liberté de la presse.

On doit aussi noter que le lien entre liberté économique et liberté de la presse est plus fort dans les pays à bas revenus ou à revenus moyens-bas que dans les pays à hauts revenus. Autrement dit, la liberté économique est encore plus favorable à la liberté de la presse dans les endroits les plus pauvres de la planète.

Une condition nécessaire

Il est certain qu’un plus haut degré de liberté économique ne garantit pas à lui seul plus de liberté pour la presse. Par exemple, Singapour ou Hong Kong disposent d’un niveau élevé de liberté économique, mais d’une faible liberté de la presse. Cependant, la propositio­n selon laquelle un niveau minimum de liberté économique est une condition nécessaire pour assurer un minimum de liberté de la presse est clairement appuyée par les données: en 2015, la dernière année disponible, il n’y a aucun pays dont la presse est libre dans le dernier quartile de la liberté économique.

Les pays présentant un haut degré de liberté économique sont ceux où il y a moins de journalist­es attaqués, le moins de lois et réglementa­tions imposées aux médias et le moins de pressions politiques pour contrôler leur contenu. En somme, la liberté économique constitue donc une piste intéressan­te de réformes, non seulement parce qu’elle favorise la prospérité, mais aussi parce qu’elle favorise l’améliorati­on de caractéris­tiques non économique­s, au premier chef la liberté de presse. Pour aider les journalist­es, libéralise­z l’économie !

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JAN KRANENDONK GETTY IMAGES Les pays présentant un haut degré de liberté économique sont ceux où il y a moins de journalist­es attaqués, le moins de lois et réglementa­tions imposées aux médias et le moins de pressions politiques pour contrôler leur contenu.

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