Lamelles : entrer dans la lumière
L’univers clair-obscur de Cédric Delorme-Bouchard fascine
LAMELLES
Mise en scène, conception lumière et scénographie: Cédric Delorme-Bouchard. Une coproduction de Chambre noire et de Cédric Delorme-Bouchard. À l’Usine C jusqu’au 5 mai.
Àla même époque, l’an dernier, Cédric Delorme-Bouchard, prolifique et surtout talentueux «concepteur lumière», dévoilait entre les murs de l’École supérieure de théâtre de l’UQAM la première mouture de Lamelles, un mémoire-création «autour de la notion de seuil et de limite telle que théorisée dans la pratique architecturale contemporaine ». Ces joursci, à l’Usine C, l’artiste propose au grand public une version peaufinée de cette exploration éminemment théorique, certes, mais tout aussi sensible. Nous avons eu le privilège d’assister à la répétition générale.
La lamelle est définie comme un fragment, une tranche mince détachée d’un tout, mais également comme une plaque de verre qui sert à recouvrir ce qui est examiné au microscope. En ce sens, le spectacle porte fort bien son nom. Au-dessus de la scène, une rangée de projecteurs tracent au sol une ligne franche. Dans l’espace, un rideau de lumière blanche qui isole, morcelle, découpe les corps des sept performeurs, dissocie avec précision un bras, une jambe, un genou ou une hanche. Chaque tableau, chorégraphie en clair-obscur de membres détachés, est une tranche de vie, un solo ou une étreinte émouvante, chargée de tendresse, de délicate sensualité, ou alors de rage contenue.
Expérience multisensorielle
C’est certainement une expérience multisensorielle. Soixante minutes de ravissement pour l’oeil, mais aussi pour l’oreille, grâce à la riche conception sonore de Simon Gauthier, des rythmes que l’on ressent physiquement, sans oublier le vent qu’on fait souffler à des moments judicieux sur les visages des spectateurs. Quand la fumée finit par rendre tangible le mur de lumière qui traverse la scène, que les nuages qui s’y déplacent font apparaître et disparaître les créatures les plus fantastiques, puis que les corps des interprètes surgissent dans leur entièreté, on comprend que la paroi lumineuse est bel et bien une frontière entre deux mondes, un portail entre le dedans et le dehors, entre le connu et l’inconnu.
Tenant à la fois de la performance, de la danse et du théâtre corporel, évoquant par moments les interactions orchestrées entre le muscle et la lumière par Daniel Léveillé, la représentation s’apparente indéniablement à un exercice de style, mais exécuté avec une telle maestria, dans une si admirable quête de beauté, une si brillante conjugaison de formalisme et d’émotion, que la fascination est sans cesse au rendez-vous.