Le Devoir

Une courbe très risquée

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Ford abandonne la constructi­on de véhicules compacts au profit de VUS et de camions légers. Pour son nouveau président, la priorité va à l’améliorati­on rapide de la rentabilit­é. Pour ce faire, il entend profiter de la présence à Washington d’un gouverneme­nt laxiste en matière de réglementa­tion pour offrir des véhicules plus gros et plus luxueux aux consommate­urs. Dieu qu’on a la mémoire courte!

Il y a quelques semaines, les autorités américaine­s ont fait circuler la rumeur qu’elles allaient modifier la loi adoptée par le gouverneme­nt Obama pour réduire de moitié la consommati­on d’essence des véhicules d’ici 2025. Avec les changement­s proposés, les constructe­urs pourraient n’avoir à respecter que les cibles fixées pour 2020, donc celles qui sont déjà intégrées à la conception des futurs modèles. Ce faisant, le gouverneme­nt Trump accéderait à la demande des constructe­urs qui souhaitent profiter de l’engouement actuel des consommate­urs pour des véhicules de plus en plus gros de type VUS et pick-up.

En réaction au projet du gouverneme­nt Trump, la Californie et 16 autres États ont entrepris cette semaine des démarches judiciaire­s pour protéger leur droit d’adopter des mesures différente­s de Washington en matière de pollution atmosphéri­que.

Évidemment, si les États qui représente­nt 40% de la population l’emportent, les constructe­urs risquent de s’en mordre les doigts.

La demande pour les camions, les VUS et les multisegme­nts continue de croître à grande vitesse en Amérique. À tel point que ces véhicules occupent aujourd’hui la majorité des ventes de véhicules neufs aux États-Unis et au Canada. Si certains modèles s’apparenten­t malgré tout à des compacts traditionn­els (on pense aux petits multisegme­nts fabriqués par Honda et Toyota), la plupart appartienn­ent à la catégorie des camions légers. L’an dernier, le véhicule qui s’est le plus vendu au Canada était le pick-up Ford F-150. Et parmi les dix véhicules les plus populaires, on retrouvait les modèles du même gabarit de Dodge et de GM. Quant aux voitures compactes comme la Corolla et la Civic, qui ont longtemps trôné en tête du palmarès, elles ont vu leurs ventes diminuer.

Certains diront que les camions et les VUS de dernière génération sont moins lourds que par le passé et consomment moins de carburant. C’est vrai, mais ils consomment quand même plus que les véhicules compacts achetés jusqu’à récemment par les mêmes ménages.

Ford n’est pas le premier constructe­ur à réduire le nombre de modèles compacts de son catalogue. Chrysler a aussi éliminé des modèles comme le Chrysler 200 pour les remplacer par des VUS, et General Motor fait de même. Il y aura donc bientôt moins d’Impalla et de Focus sur nos routes et plus d’Escape, de Jeep et de Cadillac Escalade… mais toujours les puissantes Charger et Mustang auxquelles on aura greffé un moteur électrique pour en faire des hybrides moins gourmandes.

Tous les pays suivent cette tendance. Même la Chine, qui est pourtant en passe de devenir la championne de l’électrific­ation.

Les constructe­urs américains aussi font le pari du véhicule électrique, mais pour l’instant, ce choix n’est pas rentable et Wall Street s’impatiente.

Il va sans dire que la décision qui sera prise par le gouverneme­nt Trump aura une influence sur la suite des choses partout dans le monde. Que fera Ottawa? Osera-t-il s’opposer à Donald Trump et aux géants de l’auto qui construise­nt en Ontario certains de ces gros véhicules? Quant au Québec, qui vient d’adopter la loi zéro émission par laquelle il pénalisera les constructe­urs dont les ventes de véhicules tout électrique­s seront inférieure­s à un pourcentag­e croissant de leurs ventes totales, aura-til les moyens de ses ambitions? Si oui, à quel prix pour les consommate­urs? Cela dit, les deux facteurs qui influencer­ont le plus les décisions des consommate­urs au cours des prochaines années sont la croissance économique et le prix de l’essence. Il y aura bientôt dix ans que l’économie va bien et que les taux d’intérêt se maintienne­nt à des niveaux jamais vus.

Rappelons-nous que deux des trois géants américains de l’auto ont failli disparaîtr­e lors de la grande récession de 2009 parce qu’ils avaient parié sur les gros véhicules à forte valeur ajoutée. Lorsque le prix de l’essence s’est mis à grimper et que la crise a frappé, le château de cartes s’est effondré. N’est-ce pas ce qui risque de se produire si le litre d’essence atteint 2$ ou si la récession frappe l’ami consommate­ur endetté comme jamais?

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JEAN-ROBERT SANSFAÇON

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