Le cinéma égyptien en « mal de financement »
Sept ans après la révolution de 2011, l’Égypte fait son grand retour à Cannes
L’Égypte va faire son grand retour au Festival de Cannes (8 au 19 mai), en compétition avec Yomeddine d’Abou Bakr Shawky dit A. B. Shawky, une bonne nouvelle qui ne doit pas occulter les difficultés d’un cinéma «en mal de financement», selon Alaa Karkouti, analyste spécialisé dans le cinéma arabe.
Quelle est la situation du cinéma égyptien sur le marché international aujourd’hui, sept ans après la révolution de 2011?
Il récupère, en ce qui concerne l’audience, les salles de cinéma. Ces deux dernières années, de bonnes recettes ont été enregistrées avec les films égyptiens grand public. En même temps, pour ce qui est de l’innovation, d’enfreindre les règles, de prendre des risques, cela ne se produit pas. Très peu de films le font. Le cinéma grand public égyptien ne se vend pas dans le reste du monde arabe, par exemple.
Sur la scène indépendante, il y a de la bonne qualité, mais avec des hauts et des bas. Un problème est que presque tous les réalisateurs prennent trois à cinq ans pour faire un film.
L’Égypte n’est plus le pays incontournable de la région. Maintenant, il y a des talents libanais, tunisiens, syriens, jordaniens. En Jordanie, par exemple, ils ont peut-être un film chaque année, ou environ, mais ils vont aux Oscar, ont été récompensés à Venise… Il y a un potentiel énorme en Égypte en matière de population et de lieux de tournage. Cela peut rapporter d’énormes revenus au pays, mais cela n’a pas lieu.
La sélection à Cannes de Yomeddine, un premier film, est-elle le signe d’une renaissance du cinéma égyptien ?
Non, car pour la plupart des films arabes, [être sélectionné] c’est le hasard. C’est le fait de gens qui ont la passion. Ce n’est pas systématique ou fondé sur un plan à long terme bien défini.
Pour Yomeddine — et ça arrive avec de nombreux films —, il s’agit du festival qui croit en un film et c’est tout. Cela est-il le signe d’une renaissance? Pas nécessairement. On peut très bien ne pas être de retour avant l’année prochaine ou dans dix ans.
C’est certes une sélection révolutionnaire cette année avec un premier film pour un réalisateur arabe. Mais est-ce que c’est encourageant pour les producteurs ? Non. Car en définitive, il y a très peu de producteurs qui veulent prendre des risques pour de tels films.
Que manque-t-il au cinéma égyptien pour remonter la pente? Yomeddine, j’espère, apportera un changement, mais j’en doute. J’en doute fort. [Les films égyptiens] sont en mal de financement. La sélection de Yomeddine est une excellente nouvelle et apporte de l’énergie positive, mais pour faire des films, vous avez besoin d’argent, vous avez besoin de producteurs. Les deux sont rares dans le monde arabe, pas seulement en Égypte.
La clé à Cannes sera l’ampleur de la couverture médiatique et les critiques. Mais cela n’aura pas d’impact sur le public local (égyptien). Il y a ce réalisateur égyptien en compétition à Cannes pour la première fois. Et il n’y a rien pour le promouvoir, pas de soutien de la part du pays, qui n’utilise pas le film à son profit. Pourquoi personne ne se réjouit? Il y a six ans, le film Après la bataille de Yousry Nasrallah était dans la sélection officielle. Que s’est-il passé ensuite ? Cela a-t-il été mis à profit ? Non.