Le Devoir

« L’Ontario fait réellement mieux que nous »

Égide Royer, spécialist­e du décrochage scolaire, a des suggestion­s pour le ministre de l’Éducation Êtes-vous étonné par ces nouveaux chiffres?

- PROPOS RECUEILLIS PAR JESSICA NADEAU

Le ministre répond qu’on ne peut pas comparer les taux de diplomatio­n du Québec et ceux de l’Ontario. Partagez-vous cet avis?

Une étude de l’Institut du Québec publiée cette semaine montre que le Québec est bon dernier en matière de diplomatio­n au Canada et que l’écart avec les autres provinces tend à s’accroître. À peine 64% des élèves obtiennent leur diplôme en cinq ans dans le réseau public au Québec, contre 84% en Ontario. C’est aussi au Québec que l’écart entre le taux de diplomatio­n des filles (71%) et des garçons (57%) est le plus prononcé. Pourquoi le Québec n’arrive-t-il pas à diplômer ses jeunes ? Le Devoir a posé la question à Égide Royer, professeur associé à la Faculté des sciences de l’éducation à l’Université Laval, qui analyse les statistiqu­es en matière de décrochage scolaire depuis 20 ans.

Il n’y a rien de surprenant là-dedans. Les chiffres du ministère, compilés dans un document qui s’appelle «Diplomatio­n et qualificat­ion du Québec», montrent sensibleme­nt la même chose. Ainsi, si on prend tous les jeunes qui sont rentrés au secondaire en 2009 et qu’on fait le suivi, on voit que le taux de diplomatio­n — garçons et filles, public et privé confondu — est de 61%. On arrive aux mêmes conclusion­s, quels que soient les chiffres que l’on utilise.

Le ministre a été mal conseillé lorsqu’il a dit que ce ne sont pas les mêmes diplômes. Le diplôme d’études secondaire­s de l’Ontario est reconnu par le gouverneme­nt du Québec. Même

son argumentat­ion sur la note de passage ne tient pas la route, parce qu’on ajuste nos évaluation­s en fonction du critère de passation.

Comment expliquer cet écart? Est-ce que l’Ontario fait réellement mieux que le Québec?

Oui, l’Ontario fait réellement mieux. Et quand on compare les francophon­es québécois et les francophon­es ontariens, ça fait encore plus peur. Les taux de diplomatio­n naviguent autour de 91% chez les Franco-Ontariens [contre 64% au Québec]. Mais l’école est le coeur de la communauté là-bas. L’école est vue comme un moyen de protéger la langue et de favoriser le développem­ent de la francophon­ie en Ontario. Les parents accordent une importance fondamenta­le à l’éducation. On voit la même chose du côté des anglophone­s québécois. Et c’est la même chose du côté de plusieurs communauté­s culturelle­s au Québec.

Justement, le ministre répondait cette semaine que les parents avaient une part de responsabi­lité dans le faible taux de diplomatio­n des Québécois. Avait-il raison ?

Le ministre avait raison sur cet aspect-là. Je n’aurais peut-être pas parlé de «décrochage parental», je ne l’aurais pas exprimé comme cela. Mais il est vrai que la qualité de l’implicatio­n parentale et leurs attentes par rapport à la réussite de l’enfant jouent un rôle très important.

Quelle est la recette du succès ontarien?

L’Ontario a réussi parce que les décideurs ont évité d’improviser et ont orienté l’ensemble de leur système en s’appuyant sur ce qu’on appelle les pratiques probantes, qui sont des mesures soutenues par la recherche. On a fait une réforme à peu près en même temps que l’Ontario et, de leur côté, le taux de diplomatio­n a monté en flèche, alors que nous, on piétine encore.

Pourquoi le Québec ne s’est-il pas basé sur ces données probantes?

Il y a notamment une question de langue. Il y a une banque de données solides et des programmes exemplaire­s qui existent, qui sont beaucoup plus facilement accessible­s chez les les anglophone­s et qu’on utilise plus ou moins du côté francophon­e. Il y a bien sûr des gens qui travaillen­t avec ces données dans les université­s francophon­es, mais l’accès aux pratiques exemplaire­s en éducation nord-américaine est beaucoup moins présent, à cause de la langue.

Un point qui ressortait clairement dans l’étude, c’est que l’écart de réussite entre les garçons et les filles, que l’on tient pour acquis ici au Québec, n’est pas aussi flagrant dans les autres provinces canadienne­s. Faut-il s’en inquiéter?

Dans pratiqueme­nt tous les pays, il y a une différence entre les gars et les filles, notamment en lecture. On l’observe également du côté de la diplomatio­n. Il y a quelques pays où les gars sont plus forts, mais il n’y en a pas beaucoup. Ce qui m’embête aujourd’hui, c’est que l’écart au Québec est de 14 points de pourcentag­e. À Vancouver, l’écart entre les garçons et les filles est de 3 points. Ça, c’est endurable. Mais à 14 points, vous maintenez et consacrez une sous-scolarisat­ion des garçons. L’inverse serait impensable. Imaginez si c’était les filles qui étaient à ce point moins scolarisée­s que les garçons, on dirait que c’est tout à fait intolérabl­e. Et là, on entre dans un système de deux poids, deux mesures. C’est mal vu de prendre des mesures qui s’adressent uniquement aux garçons. C’est vu comme étant une forme de stéréotype.

Faudrait-il imposer des mesures qui s’adressent uniquement aux garçons pour favoriser la diplomatio­n des garçons ?

L’Ontario a publié il y a quelques années un guide pour favoriser le développem­ent de la littératie chez les garçons. On y abordait notamment la question des thèmes de lecture, parce qu’il y a un âge où les garçons sont davantage intéressés par le livre des records — qui est le plus grand, qui est le plus fort — que par des histoires de relations affectives. Ils ont publié également un guide pour faire augmenter le nombre d’hommes en enseigneme­nt. Est-ce que c’est discrimina­toire? À mon avis non. Mais au Québec, il y a une sensibilit­é particuliè­re sur ce sujet.

Devrait-on revenir à des écoles non mixtes?

Non. On a des méta-analyses là-dessus et il n’y a pas de plus-value à faire ça.

Est-ce qu’il faut enseigner différemme­nt aux garçons, alors ?

Non, ça passe davantage par les centres d’intérêt, pour la lecture par exemple. Si, pour réussir à l’école, le point de référence ou de comparaiso­n, c’est d’adopter le comporteme­nt et les intérêts des filles, il y a des gars qui vont être en difficulté.

On voit que la lutte contre le décrochage débute bien avant l’arrivée au secondaire. Et plusieurs critiquent Québec pour le déploiemen­t très lent des maternelle­s 4 ans. Est-ce un enjeu?

L’interventi­on précoce à 4 ans, avec une dimension de littératie, a joué un rôle important pour la réussite scolaire en Ontario. Là-bas, dans les maternelle­s 4 ans, on a une éducatrice spécialisé­e et une enseignant­e dans chaque classe. Les décideurs se sont appuyés sur la recherche et quand ils ont vu l’effet que ça avait, ils ont implanté cette mesure dans toute la province.

Au Québec, il y a les CPE, n’est-ce pas équivalent?

Le programme éducatif d’une garderie ou d’un CPE ne correspond pas à ce qu’on va retrouver en matière de qualité et d’intensité dans le programme de maternelle 4 ans de l’Ontario. Ce n’est pas une critique des services de garde, qui sont de qualité. Mais le système idéal, ce serait d’offrir un service de garde de qualité jusqu’à l’âge de 3 ans et par la suite, de donner l’option aux parents d’envoyer leur enfant en CPE ou en maternelle 4 ans.

Que pensez-vous de l’idée de rendre l’école obligatoir­e jusqu’à 18 ans?

Si on est vraiment sérieux et qu’on valorise l’éducation, comme ministre, il faut dire publiqueme­nt que nous allons tout faire et soutenir nos jeunes pour qu’ils soient en apprentiss­age jusqu’à l’âge de 18 ans ou l’obtention d’un des diplômes. On n’a pas le droit d’acheter de la bière ou des billets de loterie avant 18 ans, mais on a le droit de lâcher l’école à 16 ans. Au minimum, si moi, à 16 ans, comme ado mineur, je veux quitter l’école, il faudrait que je demande une dérogation, une permission à mes parents. C’est beau de dire que les parents décrochent, mais il faut les aider à garder leur jeune sur les bancs d’école. Et présenteme­nt, il y a une loi qui permet aux enfants de quitter l’école à l’âge de 16 ans.

Si vous étiez ministre de l’Éducation, que feriez-vous d’autre?

Je crée un Institut national de l’excellence en éducation. Deuxièmeme­nt, j’annonce que d’ici cinq ans, graduellem­ent, on va offrir à tous les Québécois la maternelle 4 ans, soit en CPE, soit à l’école. J’annonce aussi que des mesures seront prises pour que tous les candidats à l’enseigneme­nt passent un examen sur la qualité de leur français avant d’être admis à l’université et qu’on va leur demander de reprendre leurs cours au cégep s’ils l’échouent. Je demande à l’Office des profession­s d’étudier la pertinence et la faisabilit­é de créer un ordre des enseignant­s.

Pour composer avec la sous-scolarisat­ion — en particulie­r chez les garçons —, j’encourage des mesures de mentorat pour jeunes au secondaire.

D’ici le 31 décembre, je révise le financemen­t et la politique d’adaptation scolaire qui, de toute évidence, ne fonctionne pas. J’ajoute à ça l’obligation de fréquentat­ion scolaire jusqu’à 18 ans. Et enfin, j’annonce que toutes les écoles devront compter dans leur clientèle au moins 15% de jeunes à besoins particulie­rs. Les écoles privées, subvention­nées en conséquenc­e, qui refuseraie­nt d’offrir ces services-là se verraient amputées de leur financemen­t.

Le ministre a répété cette semaine que la politique sur la réussite éducative qu’il vient de mettre en place portera ses fruits dans les prochaines années. Est-ce suffisant?

Ce qu’il a mis en place, ce sont des mesures pour améliorer la littératie. C’est la seule chose. Et c’est d’ailleurs une chose que je ferais comme ministre, mais je ne l’ai pas nommée parce qu’il l’a fait, en injectant notamment des ressources en première année. Sur la littératie, il est dans la game. Mais pour le reste, j’attends encore.

 ?? ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR ?? Comment expliquer le faible taux de diplomatio­n au Québec comparativ­ement au reste du Canada?
ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Comment expliquer le faible taux de diplomatio­n au Québec comparativ­ement au reste du Canada?

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