Le Devoir

Les métaphores tantôt végétales, tantôt guerrières du ministre Fournier

L’avancement du dialogue constituti­onnel avec Ottawa serait au point mort

- MARCO BÉLAIR-CIRINO Correspond­ant parlementa­ire à Québec

«Le fruit n’est pas mûr» pour amorcer de nouvelles discussion­s constituti­onnelles avec le Rest of Canada (ROC), répète inlassable­ment le Parti libéral du Québec depuis quinze ans. Or, le ministre des Relations canadienne­s, Jean-Marc Fournier, a avoué cette semaine qu’il n’y a ni fruit, ni fleur, ni bourgeon ayant éclos sur l’arbre constituti­onnel depuis le référendum sur l’indépendan­ce du Québec de 1995.

«Je vous propose que le fruit apparaisse, mais pour qu’il apparaisse, encore faut-il qu’il y ait une plante qui le soutienne. Et pour que cette plante puisse prendre de la vigueur, encore faut-il qu’il y ait dégel. Vous avez attendu un fruit dans le silence; depuis un an, on entend le dialogue qui reprend. Vous devriez voir comme moi cette pousse arriver», a-t-il déclaré à la presse parlementa­ire mercredi. Force est de constater que l’élu libéral sait filer la métaphore végétale — ou manier la langue de bois.

M. Fournier attribue en grande partie ce «dégel» de la relation entre les Québécois et les autres Canadiens à la Politique d’affirmatio­n du Québec et de relations canadienne­s qui a été dévoilée à la veille du 150e anniversai­re de la fédération canadienne.

Le désintérêt affiché par le chef du gouverneme­nt fédéral, Justin Trudeau, et la plupart des premiers ministres provinciau­x et territoria­ux ne l’offense pas. Pas pour le moment. Il prend toutefois soin de mentionner que la première ministre de l’Ontario, Kathleen Wynne, des sénateurs et des députés fédéraux représenta­nt le Québec ainsi que les chefs du Parti conservate­ur du Canada et du Nouveau Parti démocratiq­ue «ont témoigné publiqueme­nt de leur intérêt pour reprendre le dialogue sur les relations canadienne­s ».

En multiplian­t les « discussion­s » auprès de la société civile canadienne, M. Fournier croit avoir contribué à briser «le tabou » sur la spécificit­é de la nation québécoise — et l’absence de la signature du Québec au bas de la Loi fondamenta­le de 1982 — au fil des onze derniers mois, ce qui n’est pas une mince affaire, à

« Uneallégea­nce québécoise à laquelle s’additionne une appartenan­ce canadienne représente la réalité identitair­e d’une vaste majorité de Québécois, réalité dont les racines plongent jusqu’au coeur de l’histoire de notre nation. Le Canada est un pays » riche de sa diversité, qui doit aujourd’hui en reconnaîtr­e toutes les dimensions et accueillir les différence­s nationales. Extrait de la Politique d’affirmatio­n «Québécois, notre façon d’être canadiens»

l’écouter. «Il y a comme une reprise d’intérêt pour la chose », estime-t-il. « Les modificati­ons constituti­onnelles sans crise ne seront possibles que lorsque les Québécois et les autres Canadiens se connaîtron­t mieux et auront multiplié leurs liens de solidarité », a-t-il répété.

«Une éventuelle reprise des pourparler­s constituti­onnels […] suivra une compréhens­ion renouvelée du sens de notre union», avait averti le premier ministre Philippe Couillard lors du dévoilemen­t de la Politique. «Une conférence constituti­onnelle […] pour que tout le monde y aille, il faut qu’il y ait une pression non seulement politique, mais également de la société civile. »

Le chef du gouverneme­nt québécois n’a pas pour autant l’ambition de prendre l’initiative de nouvelles négociatio­ns constituti­onnelles. Mais si jamais d’autres voulaient s’en charger — les nations autochtone­s, par exemple —, il profiterai­t de l’occasion pour soumettre les demandes dites traditionn­elles du Québec : reconnaiss­ance constituti­onnelle de la Nation québécoise, participat­ion du Québec à la nomination de ses trois juges à la Cour suprême, droit de veto sur les modificati­ons constituti­onnelles d’importance, attributio­n d’un statut constituti­onnel à l’entente en matière d’immigratio­n et encadremen­t par la Constituti­on du « pouvoir fédéral de dépenser» dans les champs de compétence exclusifs des provinces.

Il y a fort à parier que l’adhésion de la nation québécoise à la Constituti­on de 1982 ne figurera pas dans la plateforme électorale du PLQ. Le programme du PLQ en matière de relations canadienne­s épousera sans doute les grandes lignes du Plan d’action du Secrétaria­t du Québec aux relations canadienne­s (SQRC) présenté par le député ministre sortant Jean-Marc Fournier mercredi dernier. Assorti d’une enveloppe budgétaire de 2,4 millions, le Plan d’action 2018-2022 vise à «renforcer concrèteme­nt les liens qui unissent les Québécois et les autres Canadiens et d’établir ainsi les conditions du dialogue sur l’avenir du vivre ensemble dans la fédération canadienne» (voir encadré).

«Patient, pas passif»

La Coalition avenir Québec reproche au gouverneme­nt libéral d’avoir amorcé un «dialogue long et passif». «Les Québécois ont besoin de faire des gains rapidement à l’intérieur de la fédération canadienne», a fait valoir le député caquiste Simon Jolin-Barrette en commission parlementa­ire cette semaine. L’élu «nationalis­te» s’est dit étonné de lire dans la documentat­ion fournie par le SQRC que M. Fournier avait «rencontré ou téléphoné à sept reprises» seulement à des membres du gouverneme­nt fédéral au cours de la dernière année.

Le Québec est «patient, pas passif», a rétorqué M. Fournier rappelant qu’il n’y a pas seulement le dialogue entre le gouverneme­nt du Québec et les milieux politiques du Canada à intensifie­r, mais également le dialogue entre le gouverneme­nt et la société civile canadienne, ainsi que le dialogue entre les citoyens québécois et ceux d’ailleurs au Canada. Le «dialogue patient» portera ses fruits, a-t-il promis.

Cela dit, le canal de communicat­ion entre les décideurs politiques de Québec et d’Ottawa, autant au pouvoir que dans l’opposition, est perfectibl­e, convient le vétéran de la politique québécoise. À cet égard, M. Fournier a soutenu devant la commission des institutio­ns de l’Assemblée nationale que la désignatio­n d’un représenta­nt du gouverneme­nt québécois dans la capitale fédérale par le gouverneme­nt Marois a été une erreur. «Ottawa, c’est à côté d’ici. On peut y aller autant comme autant. J’étais là la semaine passée. Je n’ai pas besoin d’un délégué là-bas qui fait des antichambr­es quand je peux aller m’asseoir devant des comités et exprimer viva voce ce que je veux dire au nom des Québécois», a-t-il fait valoir.

D’ailleurs, il rappelait mercredi soir avoir témoigné devant le comité des affaires juridiques et constituti­onnelles du Sénat canadien afin de défendre le pouvoir des provinces de prohiber, si elles le désiraient, la production de cannabis récréatif à domicile. Le Sénat a fait sienne sa propositio­n. La bataille n’est pas terminée pour autant, a-t-il pris soin de mentionner. Il n’a pas pu mieux dire. Le lendemain, le premier ministre fédéral, Justin Trudeau, a balayé la possibilit­é que les provinces interdisen­t la possession de plants de marijuana à la maison. Il s’est dit disposé à se battre devant les tribunaux pour voir la compétence fédérale en la matière reconnue. La ministre Lucie Charlebois a dissuadé Ottawa de pratiquer un «fédéralism­e de guerre ». Légalisati­on du cannabis, accueil des migrants irrégulier­s, possibilit­é que des projets de pipeline se concrétise­nt sans l’appui de la ou des provinces concernées: les accrochage­s entre Québec et Ottawa se sont multipliés depuis l’énoncé de la Politique d’affirmatio­n du Québec.

Le gouverneme­nt québécois croit qu’il est temps que M. Trudeau désigne un «lieutenant québécois» au sein de son équipe ministérie­lle. «Honnêtemen­t, ce serait utile qu’il y ait un responsabl­e politique de ces relations avec le Québec. Je le crois», a déclaré M. Fournier à cinq mois de son départ de l’Assemblée nationale.

 ?? JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE ?? Jean-Marc Fournier croit avoir contribué à briser «le tabou» sur la spécificit­é de la nation québécoise au cours des onze derniers mois.
JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE Jean-Marc Fournier croit avoir contribué à briser «le tabou» sur la spécificit­é de la nation québécoise au cours des onze derniers mois.

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