L’an 1 d’Emmanuel Macron
Les annonces ne cessent de se succéder depuis le 7 mai 2017, date d’élection du jeune président
Emmanuel Macron n’aura pas attendu d’être de retour au pays. C’est de Canberra qu’il annonça dans une entrevue au magazine Forbes la suppression de l’« exit tax », créée par Nicolas Sarkozy afin de pénaliser les entrepreneurs qui transféraient leur foyer fiscal à l’étranger. Mais, dans la soirée, on n’en parlait déjà plus. Car, le même jour, le président réagissait aux violences qui avaient caractérisé les manifestations du 1er Mai, en n’oubliant pas de tancer au passage le président de La France insoumise, JeanLuc Mélenchon. Tout cela pendant que son ministre de l’Économie, Bruno Lemaire, annonçait des mesures pour rendre l’épargne retraite plus attractive. En pleine grève des chemins de fer et d’Air France, le président avait à peine foulé le sol de l’Australie qu’il s’envolait cette fois pour la Nouvelle-Calédonie.
À fond de train
C’est à ce rythme infernal que celui que l’on surnomme Jupiter dirige la France. Les annonces ne cessent de se succéder depuis le 7 mai 2017, date à laquelle les Français l’ont élu lors d’un second tour gagné d’avance face à la candidate du Front national, Marine Le Pen. Un an plus tard, le président n’a la confiance que de 41% des Français. Dans n’importe quel pays, cette popularité en berne serait une catastrophe. Mais pas en France. Au contraire, Emmanuel Macron fait mieux que la plupart de ses prédécesseurs. Un an après son élection, Nicolas Sarkozy n’avait plus la confiance que de 32% des Français, alors que François Hollande n’avait le soutien que de 24% d’entre eux.
En un an, celui qui aurait reconnu être entré à l’Élysée «par effraction», tant son élection déjoua tous les pronostics, a déjà mis en chantier une trentaine de réformes, pour la plupart économiques. De la réforme du Code du travail à celle de la formation professionnelle, en passant par celle de la SNCF et de l’accueil des migrants, les projets de loi se succèdent à l’Assemblée nationale, où les députés semblent réduits au rôle de faire-valoir.
Ainsi va la Ve République. Emmanuel Macron «donne le sentiment que les choses avancent, qu’elles se débloquent. Quitte à laisser penser que tout vient d’en haut, que pour remettre en mouvement le pays, il ne faut pas hésiter à le rudoyer», déclarait au quotidien La Croix le directeur du département Opinion de l’IFOP, Jérôme Fourquet.
Qu’à cela ne tienne, le président assume entièrement cette posture bonapartiste. Il fut d’ailleurs le premier à utiliser l’adjectif «jupitérien» dans une entrevue accordée au magazine Challenge en octobre 2016. «J’assume totalement cette «verticalité» du pouvoir» qu’autorise la Constitution, a-til répété dans un récent entretien à La Nouvelle Revue française. Et le président de conclure: «Je suis très lucide sur le fait que ce sont les Français qui m’ont «fait» et non un parti politique.» Emmanuel Macron estime donc n’avoir de comptes à rendre qu’à eux !
Porté par la croissance
Il faut dire que le plus jeune président de la Ve République est porté par une conjoncture économique on ne peut plus favorable. Du moins si on la compare à la crise financière qu’avait dû affronter Nicolas Sarkozy et à la stagnation de l’ère Hollande. La croissance de 2% enregistrée en 2017 est inédite depuis 2011. Si les entreprises ont accéléré leurs investissements, le chômage, lui, a légèrement régressé, ce qui a permis d’améliorer l’équilibre des comptes publics. Là aussi légèrement.
De là à croire que ces progrès sont largement dus aux réformes de son prédécesseur, il y a un pas que plusieurs ont franchi, à commencer par François Hollande lui-même. La France profite en effet d’une embellie dans la zone euro, la Banque centrale européenne ayant relevé ses prévisions de croissance de 1,8% à 2,3% pour 2018. Selon plusieurs économistes, l’économie française surfe donc sur les mesures prises il y a quatre ans par François Hollande, même si la plupart notent la continuité des politiques.
Un secret bien gardé par le président lui-même, qui cherche avec succès à se démarquer de son prédécesseur. Sa posture autoritaire face aux cheminots de la SNCF et aux manifestants du 1er Mai dissimule pourtant mal son échec à évacuer les 200 zadistes de Notre-Damedes-Landes malgré l’abandon du projet d’aéroport. Une faiblesse que l’opposition tente d’exploiter tant bien que mal.
Sur ce plan, Emmanuel Macron jouit aussi d’une conjoncture qu’aucun de ses prédécesseurs n’aurait pu imaginer. La presse française ironise en évoquant «un mariage et quatre enterrements» pour décrire l’éclatement de l’opposition entre le PS, La France insoumise, Les Républicains et le Front national (bientôt rebaptisé Rassemblement national). Une cacophonie qui donne pratiquement au président le monopole de la parole. Le défi de cette opposition sera de se réorganiser à temps pour les élections européennes de 2019, sous peine de voir triompher un président qui est pourtant loin de représenter l’opinion de la majorité des Français sur l’Europe.
L’échec européen
Si Emmanuel Macron brille à Canberra et à Washington, il n’en va pas de même à Berlin et à Bruxelles. Un an après sa marche du Louvre au son de l’hymne européen, il a dû déchanter. Après les élections allemandes et italiennes, ses propositions de relance de l’Union européenne se heurtent à un refus poli des Allemands, qui ne veulent rien savoir ni d’un ministre des Finances européen ni d’augmenter le budget de Bruxelles. Après avoir misé sur le mauvais cheval, le candidat du SPD Martin Schulz, Emmanuel Macron se retrouve devant un nouveau ministre des Finances allemand, Olaf Scholz, qui n’entend pas rompre avec son prédécesseur. Même alliée aux sociaux-démocrates, Angela Merkel est aujourd’hui tenue en joue par la droite de son propre parti (CSU) et l’extrême droite (AFD) devenue le premier parti d’opposition au Bundestag.
Macron avait commis la même erreur que «Nicolas Sarkozy en son temps, le mimétisme politique stérile, en y associant celle commise par François Hollande, le refus timoré de la confrontation», estimait récemment la chroniqueuse Amandine Crespy dans l’hebdomadaire belge Le Vif/L’Express.
À peine élu, Emmanuel Macron avait annoncé qu’il ne faudrait pas le juger avant la mi-mandat. L’année qui commence sera donc cruciale. Au menu : réforme du régime des retraites et des hôpitaux, prélèvement à la source de l’impôt et création d’un service national obligatoire d’un mois pour les jeunes. Malgré une dénonciation de l’« hydre islamiste», nombre de Français des milieux populaires déplorent le silence du président sur le communautarisme qui gangrène les banlieues françaises. Un silence qui contribue à entretenir cette image de bobo parisien qui lui colle à la peau. Quelque 80 % des Français estiment en effet qu’Emmanuel Macron «ne comprend pas la situation des habitants des zones rurales», selon un sondage BVA.
«Son problème principal, dans l’immédiat, c’est que l’opposition de droite est parvenue à le faire passer pour un représentant des métropoles connectées et multiculturalistes, confirmait l’essayiste Brice Couturier dans une entrevue au Figaro. Un wonderboy de la mondialisation, ignorant «les territoires». Mais la grande question, c’est de savoir s’il saura répondre aux attentes et à l’exaspération de ceux qui ont voté pour les extrêmes en 2017. Il est bien trop tôt pour le dire. »
Après les élections allemandes et italiennes, ses propositions de relance de l’Union européenne se heurtent à un refus poli des Allemands, qui ne veulent rien savoir ni d’un ministre des Finances européen ni d’augmenter le budget de Bruxelles