Le Devoir

Échec emblématiq­ue

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L’acquitteme­nt de Frank Zampino, Paolo Catania et quatre coaccusés dans le dossier du Faubourg Contrecoeu­r est un sérieux revers pour l’Unité permanente anticorrup­tion (UPAC) et le Directeur des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP). À la source de l’échec? Les méthodes de recrutemen­t des témoins repentis.

Il faut remonter au recrutemen­t du témoin vedette de la Couronne, l’ex-ingénieur Michel Lalonde, pour trouver la source de l’échec du procès intenté aux responsabl­es de la vente à rabais des terrains du Faubourg Contrecoeu­r, un épisode peu glorieux auquel la commission Charbonnea­u avait consacré un chapitre dans son rapport. Michel Lalonde, porteur de valises et organisate­ur d’élections clefs en main, incarnait tout ce qu’il y a de plus détestable dans le développem­ent des affaires. Il y a une dizaine d’années déjà, il a senti la soupe chaude lorsque les policiers de l’escouade Marteau (l’ancêtre de l’UPAC) ont amorcé leur enquête sur le trucage des contrats publics à Boisbriand. Il s’est vite mis à table, obtenant une immunité de poursuite en échange de sa collaborat­ion. Un avantage inestimabl­e.

Il fut un temps où les choses étaient plus simples. Le «témoin repenti» acquérait son statut de collaborat­eur de la justice après avoir plaidé coupable aux accusation­s portées contre lui. En échange de son témoignage, il pouvait obtenir des incitatifs financiers, des mesures de protection dans les affaires de crime organisé et la perspectiv­e d’une sentence clémente.

En conservant un faux statut de témoin civil, Michel Lalonde a évolué en dehors de ce système dont les organisati­ons policières dénaturent la lettre et l’esprit depuis quelques années. Il n’est pas le seul dans cette situation. Confrontés à la complexité des enquêtes sur la corruption (un crime inodore, incolore et en apparence sans victime), les enquêteurs ont fait preuve d’une certaine créativité pour délier des langues. Ce faisant, les témoins tels que Lalonde ont été placés dans une relation de sujétion par rapport aux policiers. Lalonde avait tout intérêt à raconter aux policiers l’histoire qu’ils souhaitaie­nt entendre.

D’ailleurs, dans ses premières déclaratio­ns à la police, il ne mentionnai­t pas le nom de Frank Zampino, ex-président du comité exécutif dans l’administra­tion Tremblay. Sa version des faits était évolutive et contredite par des preuves indépendan­tes. Résultat? La valeur du témoignage de Lalonde vaut moins que la marchandis­e d’un magasin à un dollar. C’est d’autant plus gênant que celui-ci était le socle fondateur sur lequel le DPCP a bâti sa preuve. Voilà qui appelle à un examen sérieux des méthodes de recrutemen­t et d’encadremen­t des témoins repentis, marquées par un laxisme évident.

Le fiasco est d’une ampleur inquiétant­e. Dans sa décision, le juge Yvan Poulin sermonne le DPCP. Un verdict en matière criminelle doit reposer «sur des faits tangibles et concrets plutôt que sur des possibilit­és, des probabilit­és ou des impression­s ».

Les travaux de la commission Charbonnea­u ont démontré de nombreuses irrégulari­tés dans la vente des terrains du Faubourg Contrecoeu­r à l’entreprene­ur Paolo Catania, en suivant la trace des enveloppes brunes, du copinage entre élus et entreprene­urs et du financemen­t politique illicite. Il revenait au DPCP d’en faire la preuve, hors de tout doute raisonnabl­e cette fois, en se basant sur ses propres moyens. Il ne suffisait pas de plaider que la version des accusés était «invraisemb­lable, inconcevab­le et peu crédible», comme l’a fait le DPCP. Il fallait le prouver! La difficulté de faire la preuve d’une fraude dans un contexte de corruption systémique et le fait que les moeurs, coutumes et règles de l’époque étaient différente­s de celles du jour ne peuvent servir d’excuse.

Le procès des accusés dans le dossier du Faubourg Contrecoeu­r devait être «emblématiq­ue», avait dit le commissair­e à la lutte contre la corruption, Robert Lafrenière. C’est en effet l’emblème d’un échec cuisant de l’UPAC et du DPCP.

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BRIAN MYLES

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