Le Devoir

L’impact positif de la hausse du salaire minimum

- JULIEN LAFLAMME PIERRE-ANTOINE HARVEY Économiste­s et chercheurs associés à l’Institut de recherche et d’informatio­ns socio-économique­s (IRIS)

Dans une lettre d’opinion parue mardi, Norma Kozhaya, vice-présidente du Conseil du patronat du Québec (CPQ), écarte du revers de la main les conclusion­s de notre étude sur l’impact pour l’économie des régions d’une hausse du salaire minimum à 15 $ l’heure. Reprenant le mantra défaitiste patronal, elle affirme que «ce sont ceux qu’on tente d’aider qui seront les premières victimes, c’est-à-dire les personnes à faible revenu».

Notre étude montre qu’une hausse du salaire minimum à 15$ l’heure entraînera­it une augmentati­on globale de la masse salariale des personnes à bas salaire de 2,2 à 3,4 milliards de dollars. Ces calculs tiennent compte à la fois des pertes d’emploi appréhendé­es et de l’augmentati­on de la masse salariale des travailleu­rs et travailleu­ses à bas salaire qui conservero­nt leur emploi. Nous constatons que les effets positifs d’une telle hausse (gains salariaux) seraient de 9 à 11 fois plus importants que ses effets négatifs (pertes d’emplois).

Mme Kozhaya semble suggérer que nous avons volontaire­ment sous-estimé l’ampleur des pertes d’emplois potentiell­es. Pourtant, l’hypothèse de 2% de pertes d’emplois représente l’estimation la plus négative issue des recherches récentes au Québec. Le CPQ avait lui-même commandé une recherche à la firme Dameco qui arrivait à des résultats plus optimistes que les nôtres. Réalisée en 2016 à l’aide d’un modèle d’équilibre général, cette recherche prévoyait des pertes d’emplois oscillant entre 0,2% et 1,3% des emplois visés. C’est donc dire que, si nous nous étions basés sur les résultats de l’étude du CPQ, nous serions arrivés à des retombées encore plus positives.

Retombées positives

La vice-présidente du CPQ juge irréaliste l’hypothèse selon laquelle «les entreprise­s devraient comprendre qu’il est dans leur intérêt de mettre ce pouvoir d’achat dans les mains des consommate­urs, puisque “plus de salaire = plus de consommati­on = plus de chiffre d’affaires”». Pourtant, le mérite d’avoir établi une telle équation revient non pas à nous, mais à d’illustres économiste­s, dont le Britanniqu­e John Maynard Keynes.

Selon Mme Kozhaya, nous affirmons que la hausse globale de la masse salariale additionne­lle sera uniquement dépensée dans des entreprise­s à bas salaire. C’est pourtant faux. Si nous croyons qu’une partie des nouveaux revenus touchés par les bas salariés sera très certaineme­nt dépensée dans de tels commerces (pensons aux épiceries ou aux commerces de détail en général), d’autres secteurs bénéficier­ont aussi d’une hausse de leur pouvoir d’achat, comme celui de la constructi­on résidentie­lle par exemple. Il s’agit d’après nous d’impacts économique­s positifs dont il importe de tenir compte.

Nous pensons en outre que les entreprise­s à bas salaire pourraient bénéficier de certains avantages en procédant à des augmentati­ons salariales. D’une part, un salaire plus alléchant facilite l’attraction et la rétention de la main-d’oeuvre. En 20142015, Emploi Québec estimait que le taux de roulement annuel de l’industrie de l’hébergemen­t et de la restaurati­on atteignait 21%, une proportion qui s’avère considérab­le. D’autre part, un meilleur salaire engendre généraleme­nt une meilleure motivation des employés, ce qui est aussi très important dans les industries où le service à la clientèle est primordial.

Enfin, Mme Kozhaya aborde l’enjeu de la pauvreté. Elle souligne que le salaire minimum actuel, à 12$ l’heure, assure un revenu disponible qui permet une couverture des besoins de base adéquats, selon la Mesure du panier de consommati­on. Or, pour sortir de la pauvreté, il est nécessaire non seulement d’avoir les moyens de se procurer l’essentiel, mais aussi d’avoir une véritable marge de manoeuvre financière et une autonomie économique.

Ne serait-il pas juste qu’une personne qui travaille à temps plein au salaire minimum puisse échapper réellement à la pauvreté? Les indicateur­s de sortie de pauvreté, comme le «revenu viable» élaboré par l’IRIS ou encore le «risque de pauvreté» tel que défini par l’Union européenne, nous indiquent les seuils à atteindre pour dépasser la simple couverture des besoins de base.

Certes, un salaire minimum à 15$ l’heure entraînera­it quelques effets indésirabl­es dans les premières années de son implantati­on. Or, dans le contexte d’un marché du travail dynamique, avec un très bas taux de chômage et une croissance soutenue des inégalités, notre étude met en lumière le fait que les avantages seraient bien plus nombreux que les inconvénie­nts.

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