Le Devoir

Un traitement de choc s’impose pour favoriser la parité

- LOUISE HAREL Ex-députée, ex-ministre, ex-chef parlementa­ire et ex-présidente de l’Assemblée nationale

Lors de mon élection en 1981, je ne voyais pas la nécessité d’une loi sur la parité. Nous formions, les huit femmes élues, 6,6% de l’Assemblée nationale, une nette améliorati­on en regard du 0,9% d’avant 1976. J’avais confiance que nous allions constammen­t progresser, le mouvement des femmes étant fortement mobilisé et les chefs de parti étant consentant­s. Nous allions poursuivre inexorable­ment, pensais-je, notre avancée jusqu’à la parité. En 2005, 24 ans plus tard, lorsque la professeur­e Manon Tremblay me demande d’écrire la préface de Québécoise­s et représenta­tion parlementa­ire aux Presses de l’Université Laval, j’écris avec inquiétude que «les reculs ne sont pas impossible­s». Le recul se produira effectivem­ent dès 2007: des 40 femmes députées qui formaient alors 32% de l’Assemblée, pourcentag­e le plus élevé, atteint également en 2012, elles ne seront plus que 27 %, et 29 % actuelleme­nt.

Le plafond du tiers: un plafond de verre

Depuis 1976, soit depuis 42 ans, jamais nous n’avons réussi à dépasser ce plafond du tiers. Selon les études consultées, ce plafonneme­nt se vit à l’échelle de tous les groupes qui, ayant connu de la discrimina­tion, sont en marche vers l’inclusion. Le groupe majoritair­e, de façon systémique et involontai­re, se protège de sa propre transforma­tion en maintenant ses façons de faire. Dépasser ce plafond du tiers et se mettre en route vers la zone paritaire (sans recourir aux quotas) ne se fait pas sans résistance, parce que cela signifie basculer dans l’inconnu d’une nouvelle majorité et de ses possibles nouvelles règles.

Je prends la gestion du temps comme exemple prosaïque. Depuis des temps im- mémoriaux, l’Assemblée nationale avait cette fâcheuse habitude de siéger sans arrêt, jour et nuit, durant 72 heures, parfois 96 heures ou plus. La présence des femmes députées, qui, unanimemen­t, détestaien­t cette façon de faire, a eu une influence certaine sur la modificati­on du calendrier pour mieux planifier les travaux et siéger, avec plus de concentrat­ion, à des heures raisonnabl­es, tout en tenant compte des semaines de relâche scolaire. Une loi sur la parité, entre 40% et 60%, lancerait un puissant signal de changement irrévocabl­e, appliqué cette fois dans tous les domaines de la vie parlementa­ire et du débat politique.

Vaincre la résistance des partis

Le maillon le plus faible, et pourtant le plus déterminan­t, dans la chaîne de présence des femmes au Parlement est celui du recrutemen­t de candidates par les partis politiques. Sans parler de quotas pour les femmes, la zone paritaire viendrait pallier le fait que des candidats se précipiten­t dès qu’une place se libère alors que les candidates hésitent longuement à pénétrer dans l’univers politique, se considéran­t à tort comme inadéquate­s et mal préparées. La rudesse de la joute politique amène les partis, de façon consciente ou inconscien­te, à faire d’abord confiance au modèle dominant, y compris dans ses apparences. Je ne sais combien de fois je me suis entêtée à passer outre aux commentair­es sur le timbre trop féminin de ma voix qui enlève de l’autorité, me disait-on. La présence d’un plus grand nombre de femmes modifierai­t non seulement cette norme, mais bien d’autres stéréotype­s associés aux attributs masculins.

Les partis politiques sont la clé de voûte pour aplanir les obstacles qui persistent et qui maintienne­nt, souvent à leur insu, la sous-représenta­tion des femmes. Cela s’avère d’autant plus justifié que les partis sont maintenant très largement financés par des fonds publics auxquels les femmes contribuen­t à égalité. Une loi sur la zone paritaire enverrait un signal puissant, comme le fut, en 2011, la loi du gouverneme­nt Charest sur la parité hommes-femmes au sein des conseils d’administra­tion des sociétés d’État, loi qui fait maintenant consensus en raison des nombreux bénéfices qui lui sont reconnus.

Un traitement de choc s’impose maintenant

«Les façons de faire la politique», la «culture masculine du débat politique fondée sur l’idée de combat et de joute», que le directeur du Devoir invite à modifier dans son éditorial du 30 avril, ne changeront pas sans la contrainte d’une loi sur la parité. La transforma­tion de l’Homo politicus nécessite un changement de paradigme, un traitement de choc. C’est le phénomène de la poule et de l’oeuf: sans une présence accrue des femmes au Parlement, il n’y aura pas de véritable changement de cette « culture masculine» qui a imprégné l’exercice du pouvoir, et sans changement de culture, ce ne sera pas plus attrayant d’être candidates.

Nous en sommes rendus là dans notre épopée de l’émancipati­on et de la conquête du pouvoir politique par les Québécoise­s. Nous devons avec lucidité reconnaîtr­e que nous faisons du surplace depuis une décennie et que notre pusillanim­ité laisse le problème entier à la génération suivante. Contrairem­ent à ce que nos mères et nos grands-mères nous ont légué !

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JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE Des 40 femmes députées qui formaient en 2007 32 % de l’Assemblée nationale, elles ne sont plus que 29% actuelleme­nt.

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