Le Devoir

Louis Cornellier

- Louis Cornellier

Les Québécois, en majorité, sont des déserteurs du fédéralism­e. Ils sont ou bien souveraini­stes, et ils considèren­t alors le Canada comme un pays étranger qui ne les représente pas, ou bien antisouver­ainistes, et ils regardent alors froidement le cadre fédéral comme un système plus favorable à l’économie d’ici qu’un éventuel Québec indépendan­t. Dans un cas comme dans l’autre, le Canada est perçu comme une structure qui nous est extérieure et à laquelle, par conséquent, notre participat­ion active demeure essentiell­ement fonctionne­lle et minimalist­e.

Or, en décrochant ainsi de l’État fédéral — souvent pour de bonnes raisons, d’ailleurs — sans pour autant opter pour la souveraine­té, les Québécois courent le risque de décrocher du monde. Politiquem­ent, en effet, une province ne pèse pas lourd sur la scène internatio­nale. Le Québec, dans le monde, n’a qu’une existence symbolique, pour ainsi dire. Que cela fasse ou non notre affaire, c’est le Canada, à cette échelle, qui nous représente, qui parle pour nous.

Notre désintérêt à son endroit nous condamne donc à un provincial­isme étriqué, à un rapetissem­ent de nos horizons. Pour le moment, en ce qui concerne les grandes questions qui agitent la scène internatio­nale (enjeux de la guerre et de la paix, réchauffem­ent climatique, grands traités économique­s, lutte contre le terrorisme, aide au développem­ent), la voix du Québec est celle du Canada. Nous aurions donc tout intérêt à nous en occuper. Dans le monde, actuelleme­nt, Justin Trudeau, souvent costumé, parle pour nous. Doit-on s’en réjouir ?

L’image sans les idées

Dans Le Journal de Montréal du 17 avril dernier, le politologu­e Loïc Tassé affirmait que, «plus Justin Trudeau se mêle de politique étrangère, plus celle-ci devient à l’image de ses chaussette­s: clownesque et niaise ». Son collègue Jocelyn Coulon formule un jugement aussi sévère, mais plus étayé, dans Un selfie avec Justin Trudeau (Québec Amérique, 2018), un solide réquisitoi­re contre la politique étrangère du premier ministre libéral, forte en images, mais faible en idées justes.

Coulon n’a rien d’un souveraini­ste allergique au Canada. Spécialist­e des dossiers internatio­naux, il a déjà été candidat du Parti libéral du Canada (PLC) et a accepté, en février 2016, un poste de conseiller auprès de Stéphane Dion, alors ministre des Affaires étrangères. Sa critique de l’action internatio­nale de Justin Trudeau est donc celle d’un fédéralist­e convaincu, profondéme­nt déçu par l’incurie du premier ministre en la matière.

De 2006 à 2015, la politique étrangère du gouverneme­nt Harper a heurté bien des Canadiens et presque tous les Québécois. Militarist­e, cette politique tranchait avec la tradition canadienne et se caractéris­ait par un mépris pour l’ONU, par une indifféren­ce envers l’Afrique, par une critique de l’aide au développem­ent, par un appui sans nuance à Israël et par un alignement sur les États-Unis.

Les Canadiens, pourtant, et les Québécois ne font pas exception à cet égard, demeurent très attachés à l’ONU, aux Casques bleus et à l’aide au développem­ent, constate Coulon. Ils ont donc accueilli avec soulagemen­t, en 2015, la victoire de Justin Trudeau, qui annonçait un retour à «l’internatio­nalisme libéral», fondé, explique Coulon, «sur une participat­ion active au multilatér­alisme, aux négociatio­ns de désarmemen­t, aux opérations de paix et au renforceme­nt du droit internatio­nal».

Promesses non tenues

La suite allait se révéler frustrante. Nommé ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, partisan de l’internatio­nalisme libéral, a été neutralisé par Trudeau, qui n’a jamais accepté de le rencontrer, une situation absolument aberrante quand on considère l’importance de la politique étrangère d’un pays. Dion, qui avait forgé le concept d’«éthique de la conviction responsabl­e » pour guider son action — une approche honorable, certes, mais qui a tout de même servi à justifier la vente de véhicules militaires à l’Arabie saoudite —, a été remplacé, en janvier 2017, par Chrystia Freeland, qui a reçu le mandat de se consacrer à la renégociat­ion de l’accord de libre-échange nord-américain.

Trois ans après son élection, le gouverneme­nt Trudeau n’a pas tenu sa promesse d’augmenter l’aide au développem­ent, il continue d’entretenir de mauvaises relations avec la Russie et d’appuyer inconsidér­ément Israël, son engagement en Afrique francophon­e — une priorité pour le Québec — demeure modeste et son multilatér­alisme affiché demeure soumis au regard américain.

Avec Trudeau à la place d’Harper, l’image du Canada dans le monde a changé, mais les politiques demeurent, se désole Coulon. Est-ce vraiment cela que les Québécois, qui continuent d’appuyer majoritair­ement le PLC, veulent ? Quand il était chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe avait une vision internatio­nale pas mal plus solide.

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