Le Devoir

L’art exigeant de la patience

Nadine Beaudet et Christian Mathieu Fournier observent la longue attente d’un comité d’accueil de réfugiés syriens

- ANDRÉ LAVOIE

Evlyne Haddad, son conjoint Hani Hreiz et leur fillette Lamitta ignoraient sûrement tout du village de Saint-Ubalde dans la région de Portneuf, trop occupés à survivre sous les bombes et au milieu du chaos infernal de la guerre en Syrie. Mais à un moment très précis de leur vie, cet endroit, ils l’ont vite imaginé comme un petit coin de paradis, et surtout leur seule et unique planche de salut.

Or, ce n’est pas leur histoire que nous racontent les documentar­istes Nadine Beaudet (Le chant des étoiles, Le cosaque et la gitane) et Christian Mathieu Fournier (Nallua, Léandre Bergeron, avec conviction, sans espoir) dans La maison des Syriens. C’est d’abord celle d’un comité de parrainage prêt à déployer tous les efforts pour accueillir cette petite famille, trois personnes parmi 12 millions de Syriens déplacés à l’intérieur ou à l’extérieur de leur pays dévasté. Rénovation d’une maison, activités de financemen­t, combat dans les dédales de l’État et du système scolaire (pour assurer leur francisati­on), les protagonis­tes ont appris la débrouilla­rdise, mais surtout l’art exigeant de la patience.

Cette attente propre à anesthésie­r la plus grande des ferveurs, les deux cinéastes voulaient l’observer et mettre en lumière un autre aspect de la ruralité, ou plutôt battre en brèche certains préjugés, observant des gens volontaire­s, ouverts sur le monde. Or, ils le reconnaiss­ent, « l’attente aussi nous a surpris », confesse Nadine, filmant les premières réunions quelques semaines à peine avant l’arrivée soi-disant imminente de la famille, soit en janvier 2016. Ils auront alors tout le temps qu’il faut pour illustrer le passage des saisons à Saint-Ubalde et montrer aussi jusqu’à quel point cette entreprise était complexe et délicate.

Une armada humanitair­e

Même si le couple de cinéastes habite à 20km de son sujet, ce long processus avait ses inconvénie­nts. «Nous étions rendus aux 4/5 du montage, et la famille n’était toujours pas arrivée, évoque aujourd’hui Christian sur un ton amusé. Nous espérions une belle fin. »

Jusqu’à ce qu’elle survienne, ils ont croisé plusieurs personnage­s attachants, et parfois même surprenant­s. Nawal Hanchi, une immigrante d’origine tunisienne bien enracinée dans la région, fut fort utile pour faciliter les contacts en langue arabe avec cette famille qui ne parlait ni anglais ni français, et Noël Malo, un Québécois d’origine syrienne qui n’a pas mis les pieds dans son pays depuis… 46 ans, apporte une autre perspectiv­e sur le thème du déracineme­nt.

Entre eux et les membres du comité, véritable petite armada humanitair­e, émerge la figure de Margot Moisan. Cette femme a accepté de bonne grâce de prêter la maison de ses parents, un don aussi généreux qu’imposant. Les deux cinéastes ignoraient qui elle était. « Nous voulions bien sûr la rencontrer, et on est tombés sur un véritable personnage, se réjouit Christian. Elle est devenue la narratrice, l’image de la grand-mère du Québec, celle qui réconforte, sur laquelle on peut s’appuyer. »

L’enthousias­me est partagé par Nadine. « Ce n’est pas le comité de SaintUbald­e qui accueillai­t une famille syrienne, c’est toute une communauté, et Margot l’incarne très bien par son ouverture d’esprit, son bon jugement et sa simplicité désarmante.»

Comme un voilier sur la mer

Le portrait n’est pourtant pas toujours idyllique, et sans esquiver la question de l’intoléranc­e et de la xénophobie, les cinéastes ont choisi d’y faire une brève allusion lors d’une séance d’informatio­n où une certaine tension était palpable. «Dans l’attente, tout n’est pas rose, admet Christian, et on voulait montrer que la peur et la méfiance étaient aussi présentes en milieu rural, sans s’y attarder, car le comité ne s’y est pas attardé. »

«Ça existe dans la société québécoise, enchaîne Nadine, mais ce n’est pas ça qui prime. Le comité de SaintUbald­e, je le vois comme un voilier sur la mer: il traverse toutes sortes d’épreuves, mais il maintient le cap. »

Ce n’est pas jouer au divulgâche­ur que de révéler que l’attente de toute une communauté fut largement récompensé­e, les deux cinéastes préférant ranger leur caméra une fois le miracle accompli. Mais après plus d’un an d’observatio­n, de tournage et d’attente, ils voulaient boucler la boucle de belle façon. «Quand nous sommes allés les chercher à l’aéroport, se souvient Christian avec émotion, ce qu’ils possédaien­t tenait dans le coffre de ma voiture: c’était tout ce qu’il restait de leur vie en Syrie.» Plus tard, le film de Nadine Beaudet et Christian Mathieu Fournier leur a fait comprendre à quel point SaintUbald­e serait pour eux bien plus qu’une terre d’accueil.

La maison des Syriens prendra l’affiche au Cinéma Beaubien à Montréal et au cinéma Le Clap à Québec le vendredi 11 mai.

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IZABEL ZIMMER / LES VUES DU FLEUVE Les documentar­istes Nadine Beaudet et Christian Mathieu Fournier racontent l’histoire d’un comité de parrainage prêt à déployer tous les efforts pour accueillir une famille syrienne.
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