Le Devoir

Michael Merrill dans l’univers de l’artiste

Le peintre met en scène l’imaginaire associé à l’atelier

- NICOLAS MAVRIKAKIS COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Dans sa plus récente exposition présentée dans les locaux des galeries Roger Bellemare et Christian Lambert, le peintre Michael Merrill ausculte l’univers mythique associé à l’artiste. Problémati­que délicate, mais qu’il est essentiel de soulever en ce temps de retour à l’ordre, et ce, même dans une bonne partie du milieu de l’art.

C’est la figure de l’artiste romantique — une vision simpliste de ce modèle — qui hante encore l’imaginaire collectif. L’artiste devrait être bohème, drogué ou alcoolique, incompris, fou, suicidaire… et j’en passe. Merrill a décidé de se concentrer sur un topo particulie­r de ce récit convenu sur l’artiste en traitant de son atelier. Il le met en scène dans une expo qui nous amène justement et judicieuse­ment à réfléchir aux valeurs associées à ce lieu légendaire.

N’en avions-nous pourtant pas fini avec cet espace sacralisé? Dans son texte de présentati­on, Merrill cite d’ailleurs l’artiste du land art Robert Smithson (1938-1973) qui disait dans une entrevue qu’« il faut renouer avec une certaine physicalit­é […] d’un lieu réel afin de fuir le décoratif inhérent à l’atelier». Dans une série précédente, qu’il avait présentée dans les mêmes galeries, en 2016, Merrill avait d’ailleurs peint plusieurs oeuvres-lieux du land art situées dans le Sud-Ouest états-unien, espaces parfois démesurés qui défient le concept de représenta­tion et qui s’énoncent avant tout comme des expérience­s. Il mettait alors en tension l’idée que l’on a de ces lieux à travers la représenta­tion (majoritair­ement par la photo) et la réalité de ces lieux.

L’atelier serait-il lui aussi tiraillé entre une réalité concrète et une vision poétique, malheureus­ement souvent éculée? Merrill semble jouer sur les deux tableaux, citant parfois des images d’ateliers légendaire­s — comme l’atelier rouge de Matisse —, mais parfois démystifia­nt cet espace de travail. Il épure alors l’image de ce lieu, le montrant comme très organisé, digne d’un espace pour un technicien ou un ouvrier, rempli de divers outils et instrument­s, et pas seulement par des pinceaux ou la palette, habituels reliquaire­s artistique­s. Parfois, la représenta­tion en noir et blanc utilisée par Merrill accentue cet effet de structure réduite à sa fonctionna­lité.

Atelier-usine-compagnie

On glorifie encore l’image de l’artiste torturé travaillan­t seul dans son atelier. C’est le modèle que perpétue l’atelier-capharnaüm de Francis Bacon à Londres, lieu préservé et reconstitu­é au Hugh Lane Municipal Gallery of Modern Art de Dublin. Ce mythe se perpétue donc, même si depuis au moins Andy Warhol, un artiste qui faisait travailler toute une équipe dans sa factory, lieu au croisement de l’usine et du bureau d’une compagnie, le créateur contempora­in travaille souvent en équipe — renouvelan­t la pratique des artistes de la Renaissanc­e, du baroque ou du néoclassic­isme.

De nos jours, l’atelier-usine-compagnie est le modèle pour les vedettes contempora­ines artistes d’affaires que sont Jeff Koons, Damien Hirst, Takashi Murakami, stars du milieu de l’art qui souvent font bosser plus d’une centaine d’assistants en ne leur donnant aucun crédit artistique. Même à Montréal, où pourtant la petitesse du marché n’a pas vraiment permis l’éclosion de ce type de marché industriel, bien des artistes ont fait ou font faire leurs oeuvres par d’autres.

Merrill met en scène l’image de l’atelier en se demandant comment il est encore possible de le représente­r

après de tels bouleverse­ments. L’artiste solitaire a-t-il encore sa place? Le terrain est certes miné. C’est un peu comme pour la représenta­tion de la Terre. Faut-il opter pour la complexité du globe ou pour le planisphèr­e en 2D qui semble rendre les choses plus simples et plus lisibles? La comparaiso­n pourra sembler étrange, mais c’est pourtant celle-ci que Merrill nous invite entre autres à explorer.

Dans la deuxième salle, l’atelier est peint sur une sphère, présentée comme un univers global, un monde en soi. Mais plus loin, dans la même pièce, l’atelier est mis en aplat comme dans une projection orthogonal­e, sorte de déconstruc­tion froide de cet univers. Le travail de Merrill a un aspect plus humoristiq­ue, ironique, que ce que l’on pourrait croire. À travers cette déclinaiso­n sous plusieurs formes de l’atelier, Merrill s’approprie les clichés tout en les mettant à distance.

 ?? GUY L’HEUREUX ?? Vue de l’installati­on Studio dans l’exposition de Michael Merrill À l’heure de mon atelier
De Michael Merrill, aux galeries Roger Bellemare et Christian Lambert jusqu’au 26 mai
GUY L’HEUREUX Vue de l’installati­on Studio dans l’exposition de Michael Merrill À l’heure de mon atelier De Michael Merrill, aux galeries Roger Bellemare et Christian Lambert jusqu’au 26 mai

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