Michael Merrill dans l’univers de l’artiste
Le peintre met en scène l’imaginaire associé à l’atelier
Dans sa plus récente exposition présentée dans les locaux des galeries Roger Bellemare et Christian Lambert, le peintre Michael Merrill ausculte l’univers mythique associé à l’artiste. Problématique délicate, mais qu’il est essentiel de soulever en ce temps de retour à l’ordre, et ce, même dans une bonne partie du milieu de l’art.
C’est la figure de l’artiste romantique — une vision simpliste de ce modèle — qui hante encore l’imaginaire collectif. L’artiste devrait être bohème, drogué ou alcoolique, incompris, fou, suicidaire… et j’en passe. Merrill a décidé de se concentrer sur un topo particulier de ce récit convenu sur l’artiste en traitant de son atelier. Il le met en scène dans une expo qui nous amène justement et judicieusement à réfléchir aux valeurs associées à ce lieu légendaire.
N’en avions-nous pourtant pas fini avec cet espace sacralisé? Dans son texte de présentation, Merrill cite d’ailleurs l’artiste du land art Robert Smithson (1938-1973) qui disait dans une entrevue qu’« il faut renouer avec une certaine physicalité […] d’un lieu réel afin de fuir le décoratif inhérent à l’atelier». Dans une série précédente, qu’il avait présentée dans les mêmes galeries, en 2016, Merrill avait d’ailleurs peint plusieurs oeuvres-lieux du land art situées dans le Sud-Ouest états-unien, espaces parfois démesurés qui défient le concept de représentation et qui s’énoncent avant tout comme des expériences. Il mettait alors en tension l’idée que l’on a de ces lieux à travers la représentation (majoritairement par la photo) et la réalité de ces lieux.
L’atelier serait-il lui aussi tiraillé entre une réalité concrète et une vision poétique, malheureusement souvent éculée? Merrill semble jouer sur les deux tableaux, citant parfois des images d’ateliers légendaires — comme l’atelier rouge de Matisse —, mais parfois démystifiant cet espace de travail. Il épure alors l’image de ce lieu, le montrant comme très organisé, digne d’un espace pour un technicien ou un ouvrier, rempli de divers outils et instruments, et pas seulement par des pinceaux ou la palette, habituels reliquaires artistiques. Parfois, la représentation en noir et blanc utilisée par Merrill accentue cet effet de structure réduite à sa fonctionnalité.
Atelier-usine-compagnie
On glorifie encore l’image de l’artiste torturé travaillant seul dans son atelier. C’est le modèle que perpétue l’atelier-capharnaüm de Francis Bacon à Londres, lieu préservé et reconstitué au Hugh Lane Municipal Gallery of Modern Art de Dublin. Ce mythe se perpétue donc, même si depuis au moins Andy Warhol, un artiste qui faisait travailler toute une équipe dans sa factory, lieu au croisement de l’usine et du bureau d’une compagnie, le créateur contemporain travaille souvent en équipe — renouvelant la pratique des artistes de la Renaissance, du baroque ou du néoclassicisme.
De nos jours, l’atelier-usine-compagnie est le modèle pour les vedettes contemporaines artistes d’affaires que sont Jeff Koons, Damien Hirst, Takashi Murakami, stars du milieu de l’art qui souvent font bosser plus d’une centaine d’assistants en ne leur donnant aucun crédit artistique. Même à Montréal, où pourtant la petitesse du marché n’a pas vraiment permis l’éclosion de ce type de marché industriel, bien des artistes ont fait ou font faire leurs oeuvres par d’autres.
Merrill met en scène l’image de l’atelier en se demandant comment il est encore possible de le représenter
après de tels bouleversements. L’artiste solitaire a-t-il encore sa place? Le terrain est certes miné. C’est un peu comme pour la représentation de la Terre. Faut-il opter pour la complexité du globe ou pour le planisphère en 2D qui semble rendre les choses plus simples et plus lisibles? La comparaison pourra sembler étrange, mais c’est pourtant celle-ci que Merrill nous invite entre autres à explorer.
Dans la deuxième salle, l’atelier est peint sur une sphère, présentée comme un univers global, un monde en soi. Mais plus loin, dans la même pièce, l’atelier est mis en aplat comme dans une projection orthogonale, sorte de déconstruction froide de cet univers. Le travail de Merrill a un aspect plus humoristique, ironique, que ce que l’on pourrait croire. À travers cette déclinaison sous plusieurs formes de l’atelier, Merrill s’approprie les clichés tout en les mettant à distance.