Le poids du retour
Au grand soleil cachez vos filles Abla Farhoud, VLB Éditeur, Montréal, 2017, 232 pages
Au grand soleil cachez vos filles, c’est le récit émouvant d’une famille dysfonctionnelle perdue en territoire inconnu. Abla Farhoud y raconte le retour de la famille Abdelnour au Liban après quinze années en sol canadien. Enivrés par le soleil et l’air de la côte, ils s’amourachent de ce pays dont ils sont les enfants, à l’écart, encore inconscients du nouvel univers dans lequel ils ont mis les pieds. Le retour à la réalité n’en sera que plus brutal ; le choc culturel, sous-estimé, en écorchera plus d’un au passage.
C’est avec une finesse et une sensibilité exceptionnelles que l’auteure brosse un portrait du Liban des années soixante à partir des souvenirs qu’elle en garde. Chaotique, à l’image du pays où il prend place, le récit s’enchaîne au rythme des secrets bien gardés par chacun des Abdelnour qui refont surface par la force des choses. Dans ce pays de tabous, c’est habité d’un malaise persistant que, page après page, on suit les personnages qui tentent de se dépêtrer des sables mouvants que constitue cette société rétrograde.
L’oppression ressentie par Ikram alors qu’elle tente de donner un sens à sa vie libanaise au coeur de cette tyrannie misogyne nous est transmise avec une remarquable vivacité. Le poids de cette dictature phallocrate nous accable alors que les jeunes femmes en sont les victimes. La douleur et le désespoir de ces jeunes adultes qui cherchent leur place dans un monde qui n’est pas fait pour eux nous sont transmis avec une grande acuité.
Par l’envoûtante polyrythmie créée au gré des voix d’Ikram, d’Adib et de Faïzah, Abla Farhoud aborde avec adresse des thèmes difficiles, comme la santé mentale, la recherche de soi, le sexisme. Elle dépeint habilement la complexité du Liban, arrivant à évoquer quelques représentations de ce pays au lecteur qui lui est inconnu. Exploration perspicace et subtile de l’ensemble de la gamme des émotions humaines, le roman émeut par la fragilité de ses personnages. Ligne après ligne, on succombe tous au «grand soleil», le coeur au bord des lèvres, les larmes au coin des yeux.