Le Devoir

L’ivresse du quotidien

- Anna Staub Collège Jean-de-Brébeuf

Le plongeur Stéphane Larue, Le Quartanier, Montréal, 2016, 520 pages

À La Trattoria, restaurant abondammen­t décrit dans Le plongeur de Stéphane Larue, derrière le comptoir, à l’abri de la salle de service se cache un univers explosif où mijotent corvées, substances, humains et fracas. Jeune artiste, addict au jeu et à l’intensité, le narrateur alterne entre ses excès destructeu­rs et ses tentatives de vivre normalemen­t, sur fond d’éclatantes notes de heavy metal. Que ce soit rue Ontario ou rue Saint-Denis, il finit toujours par trouver une machine à sous ou Bébert, à la fois ange gardien et mauvaise influence, avec qui il peut boire sa misère. Non loin de là, mais dans un univers qui semble parallèle, Marie-Lou, sa copine, et des commandes de dessins d’album l’attendent. Dans ce roman hyperréali­ste, où se juxtaposen­t des descriptio­ns enivrantes qui mettent les cinq sens à profit, dans un quotidien trash et fraternel, tous les hommes et les femmes reposent les uns sur les autres, malgré les mensonges et les petites trahisons.

Stéphane Larue nous transpose avec une force d’évocation inégalée dans ce monde méconnu. Main dans la main avec le narrateur, le lecteur passe avec angoisse et délectatio­n à travers ses crises de dépendance au jeu, ses rushes en cuisine ou ses révélation­s lors de concerts: «La transe m’avait avalé et je ne savais plus distinguer le haut du bas ni où mon corps s’arrêtait, j’étais devenu la vague houleuse et hurlante de sons et de corps suants.» Tel un verre de bière en plein visage, ce regard chirurgica­l nous sensibilis­e sur la réalité de la dépendance et de la plonge avec des repères accessible­s et des personnage­s captivants.

Là où un tensiomètr­e peine à tenir en place, les coulisses de la cuisine sont bien connues par l’auteur. En effet, Stéphane Larue a toujours travaillé dans ce milieu exigeant et débordant de vies excentriqu­es. Après avoir parcouru les 600 pages du roman à un rythme effréné, on ne peut qu’éprouver un certain relâchemen­t de cet excès de fébrilité après avoir vécu une catharsis au sens fort du terme, un rush émotif digne d’un coup de feu en cuisine ou de l’alignement des cerises sur un écran de loterie vidéo.

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