Le Devoir

Une si jolie miniature

- Elara Neath Thomin Collège Dawson

Le corps des bêtes Audrée Wilhelmy, Leméac, Montréal, 2017, 160 pages

Il y a quelque chose de délicat dans l’écriture d’Audrée Wilhemy. Un malaise sous-jacent, une tension semblable à l’humidité lourde d’une journée d’été, lorsque l’on n’arrive pas à savoir s’il pleuvra ou non. Beaucoup de silences aussi, remplis presque uniquement par les bruits des vagues et du vent.

Avec un père souvent absent, la petite Mie, à peine douze ans, se heurte au silence désarmant de Noé, sa mère, qui vit recluse dans sa cabane, petit royaume jamais visité, sauf par les hommes que le désir pousse. Élevée plus par la nature des environs que par le clan dont elle fait partie, la jeune fille s’initie au monde en se projetant dans l’esprit des bêtes qui l’entoure. Observatri­ce tendre et avide, elle s’efforce de comprendre la sexualité des adultes en étudiant celle des animaux autour d’elle.

L’univers que Wilhemy nous présente est minuscule, limité à une île perdue et à ses huit habitants, mais troublant par son absence de barrières morales. À la fois humains et bêtes, ses personnage­s sont amoraux, mêlant sans inhibition inceste et brutalité à leur vie de famille. Un portrait qui laisse le lecteur parfois choqué, parfois ému, souvent entre deux chaises.

La force du Corps des bêtes, c’est sans contredit la beauté incroyable du langage qui l’habite. Tant les descriptio­ns que les métaphores sont précises, poétiques, élégantes. C’est magnifique, tout simplement.

Sa lacune, c’est la faiblesse de la trame narrative. L’histoire, forte de non-dits et de petites allusions, avance sans que l’on comprenne véritablem­ent qui sont ces personnage­s que l’on voit évoluer sous nos yeux. Condamné au rôle d’observateu­r distant, le lecteur, surtout s’il est moins chevronné, lutte pour comprendre les véritables enjeux du récit et en percevoir l’évolution. La fin en est d’autant plus surprenant­e, mais a moins d’impact.

Au final, Le corps des bêtes est une petite miniature tout en finesse, une réflexion intelligen­te sur la nature humaine. S’il manque certes peutêtre un peu de substance à cette oeuvre éthérée, elle sera certaineme­nt appréciée du lecteur.

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