Bain de culture
Dans les eaux profondes Le bain japonais ★★★ Akira Mizubayashi, Arléa, Paris, 2018, 220 pages
Le Japon est un chapelet d’îles volcaniques. Il va donc sans dire que le rapport qu’entretiennent les Japonais avec l’eau — et en particulier avec l’eau chaude — ne peut être que singulier.
Dans Je suis un chat, un roman de Sôseki paru en 1905, un chat narrateur va observer ce qui se passe dans l’établissement de bains (sentô) fréquenté par son maître, où chacun lui apparaît comme il est né: c’est-àdire nu comme un ver.
Sous l’écran de vapeur, c’est une subtile critique du régime impérial japonais qui conserve une part de son actualité, croit Akira Mizubayashi (Une langue venue d’ailleurs, Petit éloge de l’errance, Gallimard, 2011 et 2014), Japonais francophile qui vit à Tokyo.
Il nous dit à sa manière, avec Dans les eaux profondes, que le sentô (littéralement «eaux chaudes à sous») est bien plus qu’une affaire d’eau et de savon au Japon. «Se laver est un geste bien insipide; mais le bain est une activité infiniment plus raffinée, plus poétique, qui dépasse de beaucoup l’aspect purement fonctionnel du lavage. »
Lieu public d’hygiène, bien sûr, mais espace de sociabilité unique, un peu comme le hammam dans le monde arabo-musulman ou le café du coin en Occident. Car pendant longtemps, le bain public au Japon a joué le rôle d’un formidable égalisateur social: les enfants y côtoyaient des vieillards, patrons et employés pouvaient partager la même eau.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui, explique en s’en désolant Mizubayashi, qui en profite pour interroger, mêlant souvenirs personnels et considérations linguistiques, les fondements uniques du «vivre-ensemble» nippon, avant de nous faire une histoire accélérée du Japon moderne.
À terme, son constat est aussi brûlant qu’une eau volcanique: «la démocratie est mourante au Japon».