Le Devoir

La Dame de fer de l’Inde

Catherine Clément retrace le destin tragique d’Indira Gandhi, première femme premier ministre du pays

- ANNE-FRÉDÉRIQUE HÉBERT-DOLBEC COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

Indu Boy ★★★ 1/2 Catherine Clément, Seuil, Paris, 2018, 221 pages

En 1984, la romancière et philosophe Catherine Clément franchit les portes du 1, Akbar Road, à New Delhi, en Inde. Avec la réalisatri­ce Josée Dayan, elle s’apprête à rencontrer Indira Gandhi, première femme premier ministre de l’Inde, au sujet des jeunes mariées brûlées vives par les bellesmère­s pour cause de dot insuffisan­te.

Quelque temps plus tard, la Dame de fer de l’Inde tombe sous les balles de ses propres gardes du corps sikhs. Pour Catherine Clément, la vérité ne fait aucun doute: Indira Gandhi a elle-même contribué à son propre assassinat.

«Je suis celle qui a fait donner l’assaut au Temple d’or des Sikhs dans la ville d’Amritsar en juin 1984, il y a presque six mois, juste avant la mousson. On a dit sept cents morts. La vérité, c’est mille. […] Je suis l’égale de l’infâme Reginald Dyer, et j’ai tué plus que lui. Ils ne pardonnero­nt pas. Je ne me pardonnera­i pas. J’ai tout prévu. Il leur faut du sang frais et ce sera le mien. »

Sous sa plume, Gandhi, fille de Jawaharlal Nehru, premier ministre de l’Inde indépendan­te, «cette dame minuscule au long nez busqué, teint mat, un oeil brun velouté, l’autre clignant sans cesse», qui a vaincu le Pakistan et contribué à la naissance du Bangladesh, est élevée au rang de légende.

En un peu plus de 200 pages qui forment cette fiction historique, nourries d’une grande connaissan­ce du sous-continent et du témoignage de Harbant Singh, ancien journalist­e de confession sikhe, Catherine Clément parvient à dresser un portrait exhaustif d’une femme fascinante qui, bien qu’elle ait contribué à la renaissanc­e de l’Inde, demeure méconnue en Occident. À travers les événements sociaux et les mouvements contestata­ires de l’époque, elle retrace l’enfance, le mariage et l’entrée en politique de Gandhi ainsi que ses quatre mandats à la tête du pays.

Dans un va-et-vient qui peut parfois s’avérer étourdissa­nt, l’auteure dépeint tous les détails de l’Histoire, à travers les témoignage­s de trois narrateurs — le sien, historique et désintéres­sé, celui de Gandhi elle-même, teinté tantôt de sentimenta­lisme, tantôt de cynisme, et celui du journalist­e Harbant Singh, humoristiq­ue et coloré — passant allégremen­t du passé au présent, des souvenirs aux conséquenc­es très concrètes des guerres qui rongent successive­ment le continent.

Le récit raconté ainsi permet à Catherine Clément de dévoiler les parts d’ombre et de mettre en lumière les racines de la haine qu’a suscitées Indira Gandhi auprès de ses détracteur­s, tout en offrant, à travers la voix fictive de la politicien­ne, une occasion de défendre ses actes, ses opinions radicales et ses critiques véhémentes envers les puissances occidental­es, en plus d’honorer sa mémoire, ses accompliss­ements et son engagement pour le droit des femmes et des minorités.

Indu Boy est le résultat d’un travail colossal de recherche et de vulgarisat­ion accessible et ensorcelan­t. Il offre une incursion au coeur des coutumes, des modes de pensée et des symboles d’un pays dont les différence­s demeurent parfois incomprise­s. On en sort avec une curiosité aiguisée et une grande soif d’apprentiss­age.

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PUNJAB PRESS/AGENCE FRANCE-PRESSE Indira Gandhi à New Dehli en 1973
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