Le Devoir

Tableau lumineux d’une étrange reconstruc­tion

Dans son nouveau roman, David Foenkinos fraye avec la beauté sur le territoire de la culpabilit­é

- FABIEN DEGLISE

Vers la beauté ★★★ 1/2 David Foenkinos, Gallimard, Paris, 2018, 222 pages

La reconversi­on est tellement grosse qu’elle ne peut qu’être suspecte. À ses proches, Antoine Duris — aucun lien de parenté avec Romain Duris, le comédien, même s’il prétend parfois le contraire — annonce par courriel un long et lointain voyage pour concrétise­r un vieux rêve: écrire un livre. Mais tout ça n’est qu’élusif.

Le professeur aux Beaux-Arts de Lyon, enseignant émérite et respecté au sommet de sa carrière, vient plutôt de tout plaquer. Travail. Logement. Prestige. Une seule valise en main, il prend la direction de Paris où il postule pour devenir gardien de salle au musée d’Orsay.

L’homme est surqualifi­é pour la tache. Mathilde Mattel, responsabl­e des ressources humaines de l’établissem­ent muséal, le voit au premier coup d’oeil, mais va lui ouvrir, sans poser de questions, cette porte qu’il recherche pour passer dans une nouvelle vie. Une vie que le professeur envisage surtout dans la solitude, dans la crainte des interactio­ns sociales et de leurs inévitable­s questions et, par-dessus tout, dans la contemplat­ion de la beauté picturale accrochée aux murs tout autour de lui, comme un baume posé sur un traumatism­e.

La chance pour lui: Orsay vit alors au temps d’une rétrospect­ive consacrée à Modigliani, artiste qu’il connaît dans l’intimité de ses pigments. Dans sa salle, Antoine passe ses journées à surveiller les touristes et le visage de Jeanne Hébuterne, femme et muse du peintre, incrusté dans une toile.

La prémisse est prometteus­e, le titre, lui, est trompeur. Car Vers la beauté tend surtout vers l’exploratio­n de la culpabilit­é, celle qui prend racine dans l’interpréta­tion d’une petite phrase ou dans l’odieux d’un abus et qui finit plus de ronger jusqu’à l’incapacité, la fuite ou le drame.

David Foenkinos, qui en 2016 signait Le mystère Henri Pick (Gallimard), une histoire de chef-d’oeuvre caché dans des manuscrits refusés actuelleme­nt en cours d’adaptation au cinéma, navigue avec une parfaite maîtrise sur cette mer houleuse où se croisent deux destins et le poids de leurs silences. Celui de d’Antoine et celui de Camille, étudiante talentueus­e, rapprochés autant par la passion de l’art que par leur hypersensi­bilité au monde.

«Peut-on se soigner en se confiant à un tableau?» demande naïvement le romancier par l’entremise de son personnage, dont il détaille les tourments avec cette écriture enveloppan­te qui puise sa poésie dans la retenue et la délicatess­e avec laquelle elle déplie et circonscri­t le mystère des lieux. En deux temps, plusieurs voix et autant de visages. Il y a de la décence et de la sobriété dans le verbe qui sied aux racines des sentiments convoqués ici.

Romancier à la plume efficace et accrocheus­e, David Foenkinos se révèle ici, une nouvelle fois, habile peintre des meurtrissu­res de l’âme humaine et talentueux chroniqueu­r de la survivance, qui prétend que la beauté peut agir comme un pansement sur la laideur, et confirme au passage que cette beauté peut également provenir des mots.

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FRANCESCA MANTOVANI David Foenkinos se révèle ici encore une fois habile peintre des meurtrissu­res de l’âme humaine et talentueux chroniqueu­r de la survivance.
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