Chantal de Villiers, la saxophoniste courageuse
À travers le temps combine de façon fort convaincante standards bien choisis et pièces originales
Pour introduire le sujet du jour, on va emprunter à notre cher ami La Palice: le nouvel album de la saxophoniste et compositrice Chantal de Villiers est plus calme, plus doux que le précédent. C’était forcé. En effet, il a été enregistré avec des pianistes formidables, et seulement des pianistes — le fin François Bourassa, le classique Burt de Villiers et le «petersonisant » Taurey Butler —, alors que le précédent le fut en quartet.
Le titre de cet album, fait, on insiste, de duos, est À travers le temps. Il a été publié par l’étiquette que Chantal de Villiers a fondée avec le saxophoniste Rémi Bolduc, soit les Productions Art and Soul. Le programme bâti par notre artiste? Il est à l’image des pianistes: formidable, car il combine des standards bien choisis avec des pièces originales qui tiennent, c’est très sérieux, la comparaison.
Maintenant que la table est mise, il faut touiller le plat. Mais encore? Qui dit duos piano-saxophone dit illico Art Pepper avec George Cables, Houston Person avec Bill Charlap, Ran Blake avec Ricky Ford, Lee Konitz avec Harold Danko, et d’autres qu’on oublie mais surtout pas le suivant, qui n’est rien de moins que le disque étalon (comme dans étalon d’or) du genre : Stan Getz avec Kenny Barron. Ces souffleurs ont eu le courage ou la folie, c’est au choix, de faire ce qu’il y a de plus difficile: décliner Dear Old Stockholm et d’autres morceaux de choix (bis) en campant au bord du précipice. Et pas celui du Cotentin mais bien celui du Niagara.
Chantal de Villiers a aussi eu ce courage. Non seulement ça… En fait, il faut bien comprendre — oui, on le sait, le ton est un peu impératif, mais il faut ce qu’il faut, comme disait Queneau — qu’en optant pour le duo, Villiers devait composer avec un coefficient de difficulté très élevé, car elle savait pertinemment que son dernier parcours serait comparé à celui respectif des gentlemen susnommés.
Cela posé, disons les choses telles qu’on les a entendues: on s’est régalé de bout en bout. À la fin, on était très admiratif de tout ce qu’elle venait de nous servir. Ce qu’on avait noté lors de son disque antérieur se confirme: cette femme est bourrée de talent. Mieux, elle devrait servir d’exemple car, à la différence de beaucoup de saxophonistes formés dans les cégeps ou les universités, Chantal de Villiers a un son ! À elle et à personne d’autre.
Il y a dans cet album un je-ne-saisquoi qui nous a rappelé Richie Kamuca, Benny Golson ou encore Harold Land. Quelque chose de doux avec ici et là les aspérités sonores qu’il faut pour éviter le piège de la préciosité. À cet état des réalités qui distinguent À travers le temps, ses compagnons ne sont évidemment pas étrangers.
Chacun accompagne Chantal de Villiers sur trois pièces. Suivant l’ordre chronologique, Bourassa est toujours aussi subtil ou soucieux du détail que d’habitude, Burt de Villiers va droit au but à la manière de Jimmy Rowles, alors que Butler a retenu l’enseignement d’Oscar Peterson: il est impérial!
La conclusion est toute simple: amis lecteurs, si vous n’êtes pas satisfaits de cet album, on rembourse !