Patrimoine espagnol vivant en devenir
Selon l’Organisation internationale de la vigne et du vin, la production mondiale annuelle, qui tournerait bon an mal an autour de 25 milliards de litres de vin, aurait chuté de plus de 8% en 2017. Bon, me direz-vous, il y en aura quand même pour tout le monde et le rationnement n’est pas encore à l’ordre du jour. Les aléas climatiques seraient en cause avec, parmi les trois premiers pays producteurs, soit l’Italie (–23 %), la France (–19 %) et l’Espagne (–15 %), des creux quasi historiques de production.
L’Espagne? J’y étais en avril dernier, à l’invitation d’un regroupement de producteurs réunis sous le chapiteau des Grandes Pagos de España. Pas de gros volumes ici non plus, mais une qualité de production particulièrement élevée parmi la trentaine de maisons affiliées qui visent, non pas un marché axé sur les volumes, mais sur l’expression de vins de niche, révélateurs d’un lieu, d’une origine et d’un terroir spécifique.
Des Vino de Pago qui se démarquent
Fondée en 2000, avec cinq domaines seulement, cette association à but non lucratif de producteurs vise avant tout à défendre et à faire la promotion de vins issus d’un seul domaine (Vino de Pago), dont la singularité du lieu (climat/terroir/cépage) se démarque avant toute chose. Aujourd’hui, l’association, qui compte très exactement 29 domaines, est répartie à l’intérieur de 18 régions viticoles totalisant 1881 hectares, dont la grande majorité est convertie en agriculture biologique et biodynamique.
Vous me rétorquerez que le concept n’est pas nouveau et a été développé ailleurs dans le monde, à la différence qu’ici, l’adhésion au «club» n’est pas du tout gagnée d’avance et qu’elle peut être en tout temps révoquée. Pour preuve, ce comité extérieur d’experts (en rotation chaque année) dont la mission est d’évaluer, de façon transparente et en toute indépendance, la production annuelle de chacun des membres du regroupement. Tous doivent en outre approuver la venue d’un nouveau domaine qui se distingue à l’intérieur des Grandes Pagos de España.
Cette démarche associative sert aussi de laboratoire d’idées et d’échanges, de stratégies (marketing, export) ainsi que de synergies permettant aux vignerons, à travers des rencontres, conférences et autres plateformes électroniques, d’assurer une mise à jour constante des différentes techniques ou nouveautés ciblant le domaine vitivinicole dans son ensemble. Innovations et dépassements, oui, mais dans un contexte encore une fois qui sublime les crus, lieux-dits et autres typicités locales.
L’oenotourisme enfin, encore peu développé en Espagne avec près de deux millions de touristes sur un total de 82 millions annuellement, demeure un marché énorme que ne se prive d’ailleurs pas de conquérir ce regroupement dont l’approche culturelle et la communication sur le terrain demeurent des voies privilégiées pour mieux cerner les spécificités de chacune des pagos. À l’intérieur d’un circuit qui couvre la majorité des régions qualitatives de production.
L’extrême diversité des sols combinée à une palette diversifiée de cépages, tant indigènes qu’internationaux, compose, au centre, au nordouest, au nord-est tout comme au sud, une synthèse actualisée de ce que l’Espagne a de mieux à offrir en matière de vin. C’est par l’entremise de ce patrimoine vivant que veulent se démarquer ces Grandes Pagos de España en y soulignant plus que tout ce sens de «l’origine» sans laquelle nul ne peut prétendre, ici comme ailleurs, aspirer au véritable vin de cru.