Le Devoir

Stimuler la recherche disruptive

Les FRQ parient sur des projets iconoclast­es pour provoquer de grands bonds scientifiq­ues

- ETIENNE PLAMONDON EMOND Collaborat­ion spéciale

Les titres des 22 projets financés par le programme Audace des Fonds de recherche du Québec (FRQ), dévoilés le 30 avril dernier, étonnent, surprennen­t, parfois déroutent. Ici, un laboratoir­e sur la forêt urbaine pour la santé. Là, un site sécurisé de recherche en thanatolog­ie pour une approche interdisci­plinaire de la mort. Certains piquent la curiosité, comme celui intitulé «exploratio­ns clownesque­s avec les sons de la conscience», ou cet autre affichant son intention d’aborder les enjeux scientifiq­ues, philosophi­ques, éthiques, politiques et légaux de l’utilisatio­n du microbiome aux fins d’identifica­tion judiciaire.

Bref, ces projets, financés avec une enveloppe totale de 2,7 millions, sortent des sentiers battus. C’est ce que souhaitaie­nt les FRQ au moment de lancer le premier appel de candidatur­es de ce nouveau programme lancé l’automne dernier: Audace a été mis sur pied pour stimuler la recherche disruptive. Dans les cinq dernières années, le scientifiq­ue en chef du Québec, Rémi Quirion, remarquait que les projets de recherche visaient pour la plupart à bonifier ou à ajouter à des connaissan­ces déjà acquises. «Étant donné que l’on prend moins de risques, on ne fait pas de grands bonds ou de grandes découverte­s qui vont amener une rupture », souligne-t-il.

C’est dans la foulée de la création de ce programme de financemen­t et dans l’esprit d’encourager les chercheurs du Québec à faire preuve d’innovation que les FRQ organisent, le 8 mai prochain, dans le cadre du congrès de l’Acfas, le colloque «La recherche hors piste: oser la rupture». L’événement vise entre autres à sensibilis­er la communauté scientifiq­ue à l’importance de collaborer, non seulement entre discipline­s, mais aussi entre les grands secteurs scientifiq­ues, soit entre les sciences naturelles, le génie, les sciences de la santé, les

sciences sociales et les arts.

« L’idée, c’est vraiment d’approcher un objet de recherche en mettant à contributi­on des discipline­s différente­s, mais aussi de développer une méthodolog­ie et une approche, au départ et en amont, pour se questionne­r sur un objet de recherche», explique Denise Pérusse, directrice aux défis de société et aux maillages intersecto­riels au bureau du scientifiq­ue en chef du Québec. «On veut un croisement encore plus élevé afin de générer de nouvelles façons d’aborder les choses ou même d’en arriver à une nouvelle approche en se contaminan­t entre discipline­s.»

La recherche intersecto­rielle n’est pas nouvelle. Les neuroscien­ces en sont un parfait exemple. Récemment, au Québec, la Chaire de recherche pour le développem­ent de pratiques innovantes en art, culture et mieux-être à l’Université du Québec à Montréal s’inscrit dans ce genre de philosophi­e.

«On pense que si l’on réussit à produire ces rapprochem­ents, on peut même amener à la création de nouvelles discipline­s», considère Jean-Pierre Vidal, conseiller stratégiqu­e du bureau du scientifiq­ue en chef. Ce dernier donne en exemple, dans l’histoire de la science, le rapprochem­ent entre la biologie et la physique qui a débouché sur la biophysiqu­e. Parmi les maillages inusités vus ailleurs dans le monde, il évoque le programme Arts at CERN, par lequel l’organisati­on à la tête du grand collisionn­eur de hadrons, à Genève, tient une résidence d’artistes afin que ses derniers nourrissen­t leurs recherches.

«Ça prend toujours un certain temps. C’est toujours plus compliqué, plus difficile. Il faut apprendre le langage de l’autre, souligne Rémi

Quirion au sujet de la dynamique de la recherche intersecto­rielle. C’est vraiment comme apprendre le mandarin pour quelqu’un qui parle français.» Les approches méthodolog­iques se révèlent parfois profondéme­nt différente­s. «Ça demande de part et d’autre d’être créatif et de faire preuve de beaucoup d’ouverture, dit-il. On espère que tout ça va nous amener plus loin pour trouver des solutions originales à nos problémati­ques de recherche. »

L’un des défis, aux yeux du scientifiq­ue en chef, demeure de valoriser cette démarche, alors que le système de recherche et d’enseigneme­nt supérieur est structuré et articulé autour de discipline­s. «Parfois, l’écueil ne vient pas nécessaire­ment de l’administra­tion universita­ire, mais peut venir même de ses collègues les plus proches», ajoute-t-il, évoquant que la compétitio­n et la pression pour publier dans des revues savantes incitent parfois les jeunes chercheurs à se concentrer sur des problèmes précis à travers une démarche plus convention­nelle.

Les FRQ continuero­nt de financer de la recherche disciplina­ire, mais ils ont créé le programme Audace pour encourager plus de scientifiq­ues à oser s’aventurer dans cette recherche intersecto­rielle. «Il faut avoir des systèmes de mérite ou de récompense qui vont aussi valoriser ce genre d’approche», insiste Rémi Quirion.

Néanmoins, cette manière d’aborder la science semble déjà enthousias­mer plusieurs chercheurs. Pour la première édition d’Audace, l’organisme subvention­naire a reçu pas moins de 200 candidatur­es. Et les FRQ affichent déjà leurs intentions de reconduire le programme. L’organisme subvention­naire se montre conscient de son pari: certains des projets financés débouchero­nt peut-être sur des échecs. «Il faut prendre des risques, dit le scientifiq­ue en chef. La recherche, ça devrait être un peu ça aussi. »

 ?? ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR ?? Un des projets financés par le programme Audace des Fonds de recherche du Québec (FRQ) est consacré à un laboratoir­e sur la forêt urbaine pour la santé.
ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Un des projets financés par le programme Audace des Fonds de recherche du Québec (FRQ) est consacré à un laboratoir­e sur la forêt urbaine pour la santé.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada