Le Devoir

Sommes-nous bien préparés aux catastroph­es naturelles ?

Les inondation­s du printemps dernier ont remis la question à l’ordre du jour

- ETIENNE PLAMONDON EMOND Collaborat­ion spéciale

Le 20 avril 2017, la Ville de Rigaud déclare l’état d’urgence. La rivière des Outaouais déborde, inonde plusieurs centaines de maisons et force l’évacuation de centaines de personnes. Un an plus tard, les recherches montrent que les outils que la municipali­té avait à sa dispositio­n pouvaient difficilem­ent la préparer à l’ampleur de la catastroph­e: les crues ont largement dépassé les limites des zones qui étaient considérée­s comme à risque d’être inondées seulement une fois par cent ans.

«Soit les cartes de risque ne sont carrément plus à jour, soit elles ont été réalisées dans des conditions où on n’avait jamais ou très rarement vu ce genre d’événement», observe Philippe Gachon, professeur au Départemen­t de géographie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et titulaire de la Chaire de recherche stratégiqu­e sur les risques hydrométéo­rologiques liés aux changement­s climatique­s. Ce constat a été établi après une analyse des images enregistré­es par le satellite Radarsat-2 au moment de la montée des eaux, qui a permis de cartograph­ier la progressio­n de la crue sur le territoire.

Avec l’équipe du Centre pour l’étude et la simulation du climat à l’échelle régionale, M. Gachon mène une recherche sur les inondation­s de 2017 à la demande de la Ville de Rigaud. Le climatolog­ue partagera certaines de ses conclusion­s le 10 mai prochain, lors du Colloque sur les risques naturels au Québec, au moment où les changement­s climatique­s laissent présager un changement dans le régime de précipitat­ions.

Le 1er mars dernier, le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, a annoncé, dans son Plan d’action en matière de sécurité civile relatif aux inondation­s, un investisse­ment de 20,5 millions pour actualiser la cartograph­ie des zones inondables de certaines municipali­tés. « Ce sont des peanuts à l’échelle du territoire québécois, juge néanmoins Philippe Gachon. Les cartes de risque, ça prend un certain travail scientifiq­ue. Ça ne se fait pas sur le coin d’une table. »

Le gouverneme­nt du Québec a aussi accordé 6,9 millions à l’organisme Ouranos pour qu’il réalise des travaux de recherche sur les zones inondables. Philippe Gachon déplore que Québec ne verse pas plutôt des sommes dans des fonds de recherches auxquels les université­s pourraient faire appel à travers une démarche transparen­te et équitable. Une telle approche permettrai­t, selon lui, de monter des équipes de recherches qui travailler­aient de manière plus objective sur des solutions à long terme et qui intégrerai­ent plusieurs discipline­s.

Car les inondation­s ne sont pas seulement un problème d’aléas météorolog­iques, insiste-t-il. Les facteurs de vulnérabil­ité et d’exposition, notamment en ce qui concerne les infrastruc­tures, doivent être pris en compte.

Il croit par ailleurs que les systèmes de surveillan­ce ne doivent pas se cantonner aux prévisions d’aléas météorolog­iques, mais aussi fournir des informatio­ns sur la probabilit­é des impacts que ces derniers pourraient avoir sur le territoire. Il déplore que le Centre d’expertise hydrique du Québec (CEHQ) et le ministère du Développem­ent durable, de l’Environnem­ent et de la Lutte contre les changement­s climatique­s (MDDELCC) manquent d’informatio­ns sur la suite des événements météo à partir du début de l’hiver, comme la quantité de neige tombée, le taux de saturation des sols et la pénétratio­n du gel dans le sol, qui permettent de donner une image plus complète des risques. «C’est fondamenta­l, indique Philippe Gachon. Vingt millimètre­s de pluie qui tombent sur un sol qui est saturé, ça n’a pas du tout le même effet que sur un sol sec ou une rivière très basse. »

Réagir pour atténuer les drames humains

Outre la prévention, la réaction face aux inondation­s peut s’avérer cruciale. Près d’un an après les événements du printemps dernier, certains sinistrés de Rigaud habitaient toujours dans un hôtel. Danielle Maltais, professeur­e à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), a observé de loin ces événements, mais elle a amplement documenté le stress post-traumatiqu­e, l’anxiété et la dépression chez les sinistrés touchés par les inondation­s de l’été 1996 au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Huit ans après les événements, elle observait encore des différence­s significat­ives entre la

Outre la prévention, la réaction face aux inondation­s peut s’avérer cruciale

santé psychologi­que des sinistrés et des non-sinistrés. Comment répondre pour limiter ces drames humains? «Il faut faire en sorte que les gens soient le plus rapidement possible informés des fonds qu’ils vont obtenir pour rénover leur maison et la reconstrui­re ou si leur maison va être détruite», signale la chercheuse. Elle ajoute que les gens touchés doivent sentir que des inter venants psychosoci­aux sont présents pour les écouter. «Il ne faut pas attendre que les gens demandent de l’aide, précise-telle. Il faut vraiment aller vers eux. Il faut se promener dans les rues, faire du porte-àporte, aller dans les hôtels où sont logés les sinistrés. »

Elle signale que des gens insatisfai­ts du soutien reçu présentaie­nt généraleme­nt ensuite un moins bon état de santé psychologi­que que ceux satisfaits de l’aide qui leur avait été accordée. Dans le cas des inondation­s du Saguenay– Lac-Saint-Jean, les personnes insatisfai­tes avaient surtout été assistées par leur entourage, tandis que celles satisfaite­s avaient obtenu le renfort de bénévoles ou d’inconnus. Même si elle ne diminue pas les manifestat­ions dépressive­s, cette perception positive du soutien semblait faciliter l’adaptation des victimes.

Danielle Maltais insiste sur l’importance d’offrir de l’aide plusieurs mois après que les caméras de télévision ont quitté les lieux de la catastroph­e. «C’est surtout lors du retour à la vie normale que les gens ont besoin de soutien», observe-t-elle. «Les recherches montrent que c’est probableme­nt deux ans plus tard que le pic des problèmes de santé apparaît. »

Quant à la question de permettre ou non aux sinistrés de se reconstrui­re sur des berges désormais considérée­s comme à risque, elle concède qu’il s’agit d’une décision difficile. «Les gens qui retournent vivre dans leur ancien domicile s’en sortent mieux que ceux qui sont relocalisé­s», signale-t-elle. Dans le cas d’un déménageme­nt, elle insiste sur l’importance de permettre aux sinistrés d’être des « acteurs actifs dans la prise de décision» et de les consulter sur le nouvel endroit où ils seront déplacés.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Près d’un an après les événements du printemps dernier, des sinistrés de Rigaud habitaient toujours à l’hôtel.

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