Le Devoir

Vers des services de soins plus humain

- ETIENNE PLAMONDON EMOND

L’empathie semble atténuer la souffrance des personnes vers qui elle est exprimée, mais aussi favoriser le bien-être de ceux qui l’éprouvent. C’est pourquoi plusieurs chercheurs se penchent sur l’empathie à la douleur chez les profession­nels de la santé, afin que les services de soins de santé deviennent plus humains, tant pour les patients que pour les soignants.

Les profession­nels de la santé auraient davantage tendance à faire preuve d’empathie et à adopter une approche centrée sur le patient lorsque la douleur d’une personne souffrant d’une maladie chronique présente des signes visibles. Émilie Paul-Savoie a découvert l’importance de cet état de fait dans son projet de recherche au doctorat en sciences cliniques à l’Université de Sherbrooke. «On ne s’attendait pas à ce que ça ressorte aussi significat­ivement dans les données », souligne celle qui est désormais professeur­e adjointe et directrice du Microprogr­amme en évaluation et en gestion de la douleur dans le même établissem­ent d’enseigneme­nt supérieur.

La chercheuse s’était servie de cinq vidéos dans lesquelles de véritables patients aux prises avec une maladie chronique racontaien­t leurs symptômes et leur quotidien. Dans tous les cas, ils affirmaien­t que la douleur ressentie, sur une échelle d’un à dix, dépassait cinq. Deux d’entre eux, l’un atteint d’arthrite rhumatoïde et l’autre du syndrome douloureux régional complexe, présentaie­nt des déformatio­ns physiques. Par la suite, 21 infirmière­s et 21 médecins ont visionné les enregistre­ments. Sans savoir que leur empathie était évaluée, ces derniers répondaien­t ensuite aux questions de la chercheuse et expliquaie­nt les traitement­s, les services, la prise en charge ou l’accompagne­ment qu’ils mettraient en place pour chacun des patients. Les réponses des soignants ont été filmées, pour être ensuite analysées par d’autres obser vateurs indépendan­ts.

Conclusion: les profession­nels de la santé penchaient moins pour une approche centrée vers le patient lorsque la maladie chronique, malgré l’intensité de la douleur, ne se manifestai­t pas par des symptômes apparents. «Les profession­nels, sans nécessaire­ment le vouloir, ne vont pas leur donner le même traitement ou un traitement avec autant d’empathie », note la chercheuse, dont les résultats seront présentés le 8 mai prochain par sa directrice de thèse, Sylvie Lafrenaye, lors du colloque «Des fondements aux implicatio­ns sociales, l’empathie au coeur d’un monde plus humain», présenté dans le cadre du Congrès de l’Acfas.

La neuro-imagerie pour comprendre l’empathie

Les clés pour comprendre ces phénomènes pourraient être révélées par l’imagerie cérébrale. Josiane Jauniaux, doctorante en psychologi­e à l’Université Laval et coorganisa­trice du colloque, réalise actuelleme­nt une méta-analyse sur les études de neuro-imagerie fonctionne­lle au sujet de l’empathie à la douleur. Elle souligne que, lorsque les participan­ts à des études voient, par exemple, l’image d’une main coincée dans une porte, les régions activées dans leur cerveau ne sont pas nécessaire­ment les mêmes que lorsqu’ils observent seulement les expression­s faciales d’une personne exprimant sa douleur.

Les percées dans les outils d’imagerie cérébrale permettent de plus en plus de distinguer les différente­s composante­s de l’empathie. La dimension affective et émotive tendrait à solliciter dans le cerveau les régions du cortex cingulaire antérieur et du cortex insulaire. Dans une étude menée par Philip Jackson, professeur à l’École de psychologi­e de l’Université Laval, l’activation de ces régions était atténuée chez les profession­nels de la santé avec plusieurs années d’expérience, «ce qui pourrait suggérer certaines modulation­s dans leur activité cérébrale associées à l’empathie », souligne-t-il.

Ces constats ne signifient pas pour autant que, à force d’observer à répétition de la douleur chez les autres, les profession­nels de la santé deviennent moins empathique­s. Peut-être s’adaptent-ils.

Dans une autre étude, publiée en 2017 dans la revue Biological Psychology, Philip Jackson a constaté que, lorsque l’on demandait à des participan­ts combien de temps ils voulaient consacrer à une personne souffrante, l’activité cérébrale des profession­nels de la santé se distinguai­t de ceux du groupe contrôle: elle impliquait davantage des régions comme le cortex cingulaire postérieur, associées à la dimension cognitive de l’empathie, soit celle qui nous aiderait à nous mettre dans les souliers de l’autre. Les profession­nels de la santé, s’ils ressentaie­nt en général moins de détresse que les personnes du groupe contrôle en voyant une personne en douleur, avaient en fait tendance à offrir davantage d’aide. Mais Philip Jackson admet que cette démonstrat­ion d’empathie se révèle peut-être différente sur le terrain, lorsque les sujets effectuent leur travail dans un système de santé sous pression.

Ressentir et exprimer de l’empathie

Émilie Paul-Savoie, dans ses recherches, a quant à elle remarqué qu’il n’y avait pas de corrélatio­n entre le degré d’empathie que les profession­nels de la santé s’attribuaie­nt et celui observé de l’extérieur. «Un profession­nel qui s’autoévalue lui-même comme étant très empathique dans un questionna­ire ne va pas nécessaire­ment démontrer une aussi grande empathie, et l’inverse est aussi vrai, signale-t-elle. On peut être empathique, mais pas nécessaire­ment en mesure de communique­r cette empathie.» Sensibilis­er les profession­nels de la santé à cette donne, tout comme au biais associé à la visibilité de la douleur, s’avère important à ses yeux. Dans la littératur­e, plusieurs études tendent à prouver que, lorsqu’un profession­nel de la santé exprime de l’empathie, les patients ont davantage tendance à écouter, à rapporter leurs préoccupat­ions et leurs symptômes et à respecter le plan de traitement établi.

Mais l’empathie pourrait aussi aider les soignants eux-mêmes, comme le laissent croire d’autres résultats de la recherche d’Émilie PaulSavoie. À l’aide du questionna­ire, elle a constaté que les soignants en épuisement profession­nel étaient ceux qui présentaie­nt le moins d’empathie, tandis que ceux qui ressentaie­nt le plus d’empathie étaient moins épuisés. Émilie PaulSavoie considère deux hypothèses, qui ne s’excluent pas mutuelleme­nt: soit l’épuisement profession­nel entraîne une diminution de l’empathie, soit l’empathie constitue un facteur de protection contre l’épuisement profession­nel. «On penche un peu plus vers la deuxième hypothèse», signale-t-elle. La raison? La dimension de l’accompliss­ement profession­nel pesait lourd dans les données qu’elle a collectées. Elle interprète qu’éprouver de l’empathie, en plus d’empêcher la monotonie au travail, engendre une meilleure relation avec le patient, qui écoute et participe mieux à son plan de traitement. «Tout ça va être très valorisant pour le profession­nel de la santé », juge-t-elle.

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ISTOCK Plusieurs études tendent à prouver que, lorsqu’un profession­nel de la santé exprime de l’empathie, les patients ont davantage tendance à écouter, à rapporter leurs préoccupat­ions et leurs symptômes et à respecter le plan de traitement établi.

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