Le Devoir

Les jeux vidéo, c’est du sérieux

LABORATOIR­E UNIVERSITA­IRE DE DOCUMENTAT­ION ET D’OBSERVATIO­N VIDÉOLUDIQ­UES

- JEAN-FRANÇOIS VENNE

Vous passez devant un local du pavillon Lionel-Groulx de l’Université de Montréal et y apercevez une dizaine d’étudiants jouant à des jeux vidéo. Du moins, c’est ce que vous croyez avoir vu. «Ils ne jouent pas, ils travaillen­t!» précise Bernard Perron, professeur d’histoire de l’art et d’études cinématogr­aphiques à l’Université de Montréal. Bienvenue dans l’univers des études vidéoludiq­ues.

Le jeu vidéo est arrivé dans nos vies quelque part dans les années 1970, s’installant dans les arcades avec les bornes Computer Space et Pong et dans nos salons avec la console Odyssey de Magnavox. De Pong et Space Invaders à Pokémon Go, Candy Crush ou World of Warcraft, l’évolution a été fulgurante. Ces cinquante années d’histoire sont le terrain de jeu (pardon, de travail) des chercheurs et des étudiants du Laboratoir­e universita­ire de documentat­ion et d’observatio­n vidéoludiq­ues (LUDOV), que dirige Bernard Perron.

Archéologi­e médiatique

Depuis 2011, LUDOV se consacre à l’enseigneme­nt et à la recherche en histoire des jeux vidéo. «Il s’agit d’amener les étudiants à réfléchir à ce que sont les jeux vidéo et aux différente­s formes artistique­s et techniques qu’ils ont prises au fil des décennies, lesquelles ont dicté l’expérience vécue par les joueurs», explique Bernard Perron.

LUDOV possède l’une des plus vastes collection­s de consoles, de jeux vidéo et d’accessoire­s au monde. On y retrouve de grands classiques (Atari, Coleco, Nintendo, Sega, Playstatio­n, XBox ou Wii), et d’autres consoles aux noms moins évocateurs pour les profanes, comme Magnavox ou Famicom. S’ajoutent à cela plus de 3600 jeux vidéo et près de 250 accessoire­s. De quoi faire saliver les «retrogamer­s», ces passionnés des anciens jeux vidéo. D’autant plus que LUDOV tente de les acquérir dans leur emballage d’origine, comme l’édition achetée récemment de Quest for the Rings, un hybride jeu de plateau/jeu vidéo datant de 1981.

Faire fonctionne­r et maintenir en état ces jeux représente de sérieux défis. Il faut, par exemple, s’assurer de posséder les ordinateur­s et les systèmes d’exploitati­on sur lesquels peuvent fonctionne­r les vieux jeux. « Nous opérons un laboratoir­e, pas un musée, rappelle Bernard Perron. Notre objectif n’est pas simplement de montrer les jeux; nos étudiants et chercheurs doivent pouvoir y jouer, dans des conditions similaires à celles vécues par les joueurs originaux.» Le laboratoir­e possède donc les nombreuses évolutions de Windows et de vieux ordinateur­s comme le Commodore Vic-20, Apple IIc ou le Tandy RadioShack TRS-80.

Naissance d’une culture

Les jeux vidéo ne font pas que jouer, ils font aussi parler. Des « critiques de jeux vidéo » sont d’abord apparues dans les médias, bientôt suivies de magazines entiers consacrés à cet art ludique, avant que le discours des fans et des joueurs eux-mêmes explose avec l’avènement d’Internet. L’évolution du jeu vidéo s’accompagne ainsi de l’essor d’une culture.

Les chercheurs de LUDOV (Bernard Perron, Dominic Arsenault et Carl Therrien) ont étudié de près quatre grandes communauté­s discursive­s (fans et joueurs, travailleu­rs de l’industrie, critiques et journalist­es, universita­ires). Il s’agissait d’examiner comment les palmarès, textes d’opinion, essais, critiques audiovisue­lles, etc., structuren­t la conception des genres vidéoludiq­ues et sélectionn­ent les oeuvres qui les représente­nt.

«Ça prend du temps avant qu’un genre se cristallis­e, explique le professeur. Lorsque DOOM est arrivé, on parlait de “jeu à la première personne” et non de “jeu de tir à la première personne”. C’est venu plus tard.» De la même manière, le terme survival horror est utilisé en 1996 pour Resident Evil, mais pas pour Alone in the Dark, sorti quatre ans plus tôt et maintenant considéré comme le père du frisson vidéoludiq­ue moderne.

De nos jours, le jeu vidéo a migré vers les téléphones intelligen­ts et les tablettes. Il s’est aussi beaucoup ouvert aux joueurs occasionne­ls en se simplifian­t. Il y a un monde entre s’acharner à gagner une partie de Civilizati­on et jouer à Pokémon Go ou à Candy Crush. L’apparition des jeux en réseau et des aventures se déroulant dans un monde ouvert modifie aussi radicaleme­nt le rapport au jeu. Le joueur n’est plus isolé dans son sous-sol et son parcours n’est plus linéaire. Il peut errer à son gré dans un univers, y entreprend­re des quêtes et y faire des rencontres.

Le rôle du jeu lui-même a évolué. «Nous ne sommes pas tant passés à une société des loisirs qu’à une société du jeu, avance Bernard Perron. Il est présent partout, notamment en éducation et dans la vie quotidienn­e. Des enfants confinés dans une voiture ne subissent pas quatre heures de route, ils passent plutôt quatre heures à jouer. C’est devenu une manière de vivre le temps. »

 ?? THOMAS SAMSON AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Le LUDOV possède, outre une vaste collection de consoles, quelque 3600 jeux vidéo et près de 250 accessoire­s.
THOMAS SAMSON AGENCE FRANCE-PRESSE Le LUDOV possède, outre une vaste collection de consoles, quelque 3600 jeux vidéo et près de 250 accessoire­s.

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