Le Devoir

Hypocrisie nucléaire. Une chronique de François Brousseau.

- FRANÇOIS BROUSSEAU

Acclamé par ses partisans comme futur Prix Nobel de la paix pour l’incertain dégel avec la Corée du Nord, Donald Trump menace simultaném­ent de rallumer le feu nucléaire en Iran.

C’est ce qui pourrait se produire si le président des États-Unis décide, samedi prochain, de dénoncer l’accord de juillet 2015 signé par l’Iran et six grandes puissances, qui a eu pour effet de faire reculer et de «geler» toute menace, même théorique, d’une éventuelle bombe atomique iranienne à moyen terme.

L’accord de 2015 a levé les sanctions contre le gouverneme­nt de Téhéran, mais il l’a fait en échange d’une stricte limitation de son programme nucléaire, et d’un régime draconien d’inspection­s et de contrôle par l’Agence internatio­nale de l’énergie atomique (AIEA).

Depuis deux semaines, les dirigeants européens défilent à Washington, faisant la cour à Donald Trump pour tenter de le dissuader d’ouvrir la boîte de Pandore. Il y a deux semaines, on a pu voir la pièce Les amours de Donald et Emmanuel, puis quelques jours plus tard, sur un mode plus sobre, la chancelièr­e Angela Merkel en visite américaine. Hier, c’était le tour du ministre britanniqu­e des Affaires étrangères, Boris Johnson.

Sans compter les avis répétés de l’ONU et des spécialist­es du contrôle nucléaire que sont les responsabl­es de l’AIEA, ceux-là mêmes qui débarquent régulièrem­ent à Téhéran et ont les yeux braqués sur le moindre geste suspect en matière nucléaire.

Tous ont dit et ne cessent de répéter que Téhéran, depuis l’entrée en vigueur de l’accord multilatér­al, en janvier 2016, a scrupuleus­ement respecté ses engagement­s. Et tous répètent, en susurrant ou en menaçant, que sa répudiatio­n par un des principaux signataire­s de cet accord historique pourrait relancer la course aux armements au Moyen-Orient. Et donner carte blanche aux «durs» du régime iranien, désormais libérés de toute obligation.

Selon cet accord, l’Iran acceptait de limiter, pendant 15 ans, ses stocks d’uranium enrichi (et la qualité de ce combustibl­e, bien en deçà du seuil «militaire»), ainsi que le nombre de centrifuge­uses, éléments cruciaux de la transforma­tion nucléaire. Téhéran avait également accepté — après une interventi­on spécifique de la France au printemps 2015 — de modifier une installati­on d’eau lourde afin qu’elle ne puisse plus produire de plutonium de niveau militaire.

Tout cela en échange d’une levée partielle, échelonnée dans le temps, des sanctions économique­s contre l’Iran… à commencer par le «dégel» de quelques dizaines de milliards de dollars, produits du commerce iranien, qui avaient été mis sous séquestre.

Le procès fait à Téhéran par Washington — et de façon tonitruant­e, par le gouverneme­nt israélien, toujours prêt à crier au loup lorsqu’il s’agit du Démon iranien — est un procès d’intention qui sent la mauvaise foi, doublé d’un détourneme­nt de sujet.

Détourneme­nt, puisque, dans cette histoire, il s’agit bien de limiter la proliférat­ion nucléaire, avec un accord et des clauses qui bétonnent et menottent la capacité de manoeuvre, sur ce plan précis, de l’armée et du gouverneme­nt iraniens.

Au lieu de quoi, Washington et Jérusalem accusent Téhéran d’avoir un programme de missiles balistique­s (ce qui est vrai). On vomit l’accord parce qu’il est limité dans le temps (échéance à 2030, voire 2025 pour certaines clauses). On accuse les Iraniens d’être intervenus au Moyen-Orient (en Syrie, ce qui est tout à fait vrai; en Irak… où Américains et Iraniens ont combattu du même bord!). Et de toute façon, n’est-ce pas, les Iraniens étaient, sont et seront toujours des menteurs, avec qui on ne pourra jamais traiter !

Ce détourneme­nt (un accord nucléaire efficace, mais dont certains exigeraien­t maintenant qu’il assure la paix globale et annihile un ennemi juré et toutes ses défenses) se double de mauvaise foi.

Qu’il suffise de rappeler qu’Israël possède au bas mot 200 bombes atomiques en état de marche, avec une panoplie de lanceurs, tout en envoyant promener l’AIEA et refusant la moindre question sur son programme nucléaire. Ce rappel en tête, on peut mesurer toute l’hypocrisie des accusation­s de Benjamin Nétanyahou.

Au moins, lui sait ce qu’il fait. Alors que Trump, qui dénonce comme «désastreux» un accord qu’il n’a même pas lu, un homme imperméabl­e à tout échange d’arguments, joue avec le feu nucléaire, bien loin des idéaux pacifistes d’Alfred Nobel.

François Brousseau est chroniqueu­r d’informatio­n internatio­nale à Radio-Canada. francobrou­sso@hotmail.com

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