Le Devoir

Entrevue Lydia Lunch et la valeur thérapeuti­que du rock

La légende undergroun­d Lydia Lunch livrera sa musique sans compromis à vocation salutaire à Montréal vendredi

- SOPHIE CHARTIER

Égérie undergroun­d, artiste prolifique, tête d’affiche de la scène no wave new-yorkaise des années 1980 et figure profondéme­nt anti-consensuel­le, la très loquace Lydia Lunch emmène son groupe-rétrospect­ive Lydia Lunch Retrovirus en ville cette semaine, dans le cadre du Distorsion Psych Fest. Après toutes ces années à cracher au visage de «l’ennemi» dans son travail, la chanteuse à la sincérité crue croit plus que jamais à la valeur thérapeuti­que du rock.

Lydia Lunch est de retour à New York, la ville qui l’a vue naître comme artiste et phénomène. Après une douzaine d’années d’exil volontaire à Barcelone, cette icône des années punk a senti le besoin de revenir aux États-Unis, où elle pouvait être réellement utile. «Quand je suis partie, Bush venait d’être élu pour un second mandat et je n’en pouvais plus. J’avais besoin de fuir, explique Lunch, jointe par téléphone à son domicile new-yorkais. Mais particuliè­rement maintenant, j’ai senti qu’il fallait revenir, c’est ici que je suis le plus utile : sur la ligne de front. »

Née en 1959, Lydia Anne Koch fuit à 16 ans sa vie à Rochester, dans l’État de New York, et un père sexuelleme­nt violent. À son arrivée dans la ville qui ne dort jamais, en 1976, elle se lie d’amitié avec les personnage­s de la scène undergroun­d et punk (Alan Vega, James Chance, Willy DeVille). Elle fonde et mène le brutal groupe Teenage Jesus and the Jerks, figure centrale de ce qu’on appellera la scène «no wave», qui s’opposait, par des production­s nihilistes et anti commercial­isables, à la popularité de la neww ave de l’ époque.

Au courant de la fin des années 1970 et des années 1980, la chanteuse se produit aussi sur la bourgeonna­nte scène de la poésie et du spoken-word, en plus de jouer dans plusieurs films expériment­aux à plus ou moins grande valeur pornograph­ique. Dans les dernières années, l’artiste a fait paraître un livre de recettes (The Need to Feed. Recipes for Developing a Healthy Obsession for Deeply Satisfying Foods, 2012), a collaboré avec Thurston Moore, est apparue dans le documentai­re Mutantes (Féminisme porno punk) en 2009, a fait des exposition­s de photos et animé des ateliers de création et de motivation «From the Page to the Stage», pour les femmes qui veulent travailler la littératur­e sonore.

Et à 58 ans, toujours férocement opposée à l’industrie et à l’hypocrisie, Mme Lunch dit avoir consacré sa vie et son travail à la recherche du plaisir qui nous libère de l’enfermemen­t, qu’il soit mental, artistique, sexuel ou politique.

«Il y a beaucoup de choses pourries dans ce pays, poursuit-elle en parlant des ÉtatsUnis. Par exemple, comment se fait-il que dans le pays le plus riche du monde, la pauvreté soit aussi présente ? Sans compter qu’il n’y a pas vraiment de candidats pour qui on peut réellement voter, ils sont tous issus de la même [élite] corporatis­te. Mais il faut se rappeler qu’il existe aussi beaucoup de belles choses ici : la musique, la littératur­e, les arts. C’est pour ça que le rock est si nécessaire. C’est la meilleure soupape. »

Le mauvais père

Si Lydia Lunch parle depuis ses premiers albums et lectures de poésie de la destructio­n engendrée par l’Amérique corporativ­e, incarnée par le symbole du «père de famille», la situation atteint selon elle ces dernières années un point critique. « Ce qui se produit partout dans le monde en ce moment, c’est un état perpétuel de génocide, affirme l’artiste. Il y a plus de division que jamais aux États-Unis en ce moment. Et ça se passe également autour du monde parce que ce pays a contaminé le monde entier. »

En cette période où l’on a vu l’émergence de #BlackLives­Matter, où la jeunesse étatsunien­ne prend la rue pour dénoncer le lobby des armes et où les femmes dénoncent sans gêne leurs agresseurs, la reine de l’undergroun­d croit-elle que la société commence à intégrer le message de révolte qu’elle porte depuis toutes ces années? «Je crois que les gens commencent à comprendre, oui, répond l’artiste. Mais que sont-ils censés faire, réellement? Je crois que les gens savent qu’ils sont opprimés, mais nous sommes prisonnier­s. On vit dans un système dirigé par des kleptomane­s. C’est pour cela que le rock est si précieux. Il nous permet de ne pas complèteme­nt nous enfoncer. Il nous faut trouver des façons

«On vit dans un système dirigé par des kleptomane­s. C’est pour cela que le rock est si précieux. Il nous permet de ne pas complèteme­nt s’enfoncer.»

de communique­r, de trouver des sources de plaisir pour rester sains d’esprit. Mais je ne crois pas que ça passera par les réseaux sociaux. Je parle de vraie connexion humaine. C’est extrêmemen­t difficile de rester sain d’esprit dans un monde autant bombardé de mauvaises nouvelles.»

C’est donc à cela qu’on pourra s’attendre vendredi sur la scène de l’église Saint-Enfant-Jésus du Mile-End: une décharge rauque, psychédéli­que, profondéme­nt no wave. Une pulsation dans l’homogénéit­é du quotidien. «La musique vient comme un soulagemen­t plus léger que la littératur­e. Même s’il n’y a pas grand-chose de léger dans la musique que l’on fait. »

Retrovirus est un groupe

composé des plus proches amis et collaborat­eurs habituels de Lydia Lunch. «C’est une rétrospect­ive de ma musique, explique Mme Lunch. Ça couvre beaucoup de ce que j’ai fait dans ma vie. Weasel Walter, Tim Dahl et Bob Bert [les musiciens qui partagent la scène avec elle] donnent vraiment une belle cohérence aux chansons, une intensité nouvelle. C’est très intense, c’est un vrai truc excitant. Il faut le voir pour le croire. Ça aide à conser ver la santé mentale. »

LYDIA LUNCH RETROVIRUS

Avec Victime, It It Anita et Frigs. Vendredi, 20 h, à l’église Saint-Enfant-Jésus du Mile-End.

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JASMINE HIRST Selon Lydia Lunch, il y a plus de division que jamais aux ÉtatsUnis en ce moment.

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