Gerald Finley, diamant pur
Un récital de mélodies du baryton-basse est décidément un moment précieux
SOCIÉTÉ D’ART VOCAL DE MONTRÉAL
Récital Gerald Finley (barytonbasse). Beethoven : 2 Lieder de l’Opus 75 (Neue Liebe, neues Leben, Aus Goethe’s Faust) et 2 Lieder de l’Opus 83 (Wonne der Wehmut, Mit einem gemalten Band). Schubert: 8 Lieder. Prometeus, Geistes-Gruss, An den Mond II, Rastlose Liebe, An Schwager Kronos, Schäfers Klagelied, Wandrers Nachtlied II, Erlkönig. Tchaïkovski : Serenade Don Zhuan, Sret’ shumnava bala, Net, tol’ka tot, kto znal, Kad nad garjacheju zaloj. Rachmaninov : O, net, mal’u, ni uhadi !, V molchan’i nochi taynoy, Sud’ba, Na smert’ chizhika, Hristos vaskres, Vesennije vodi. Michael McMahon (piano). Conservatoire de Montréal, dimanche 6 mai 2018.
Voir et entendre, en moins de 24 heures, Rolando Villazón et Gerald Finley, c’est côtoyer deux artistes qui ne font assurément plus le même métier. Villazón est un showman qui chante, Finley est un chanteur d’opéra et un Kammersänger (interprète de mélodies) dans l’expression la plus noble et absolue du terme, un diamant des plus purs.
Si la comparaison s’impose, c’est parce qu’en dépit de tous les diktats du marketing, du vedettariat et du show-business (défavorables, évidemment, à Finley), la différence est réelle, tangible et éclairante. Elle peut se résumer ainsi : ce que Gerald Finley commande à sa voix, sa voix le lui donne très précisément sur tout le registre et dans toutes les nuances, alors que le ténor mexicain obtient des réponses aléatoires pour peu qu’il sorte d’une zone de confort médiane restreinte.
Ce dernier compense les déficits par une gestuelle débordante alors que le baryton canadien, avec une classe intrinsèque et une concentration absolue, s’en tient à une expression faciale essentielle, sans la moindre sollicitation ou le moindre débordement. Sa technique est immaculée, d’une maîtrise absolue. Nous arrêterons là les comparaisons, mais tenons à souligner ainsi que le plus grand des chanteurs canadiens mériterait, lui aussi, qu’un orchestre montréalais lui fasse fête de temps en temps.
Renversant d’intelligence
En tout cas, le récital donné dimanche par Gerald Finley fut bouleversant, renversant d’intelligence et, si l’on peut utiliser ce mot dans une critique, de perfection. Cette perfection débute par l’agencement des mélodies, par exemple, dans la partie Schubert, la bouleversante transition entre l’hébétude finale du chant de plainte du berger et la quiétude des montagnes (Wandrers Nachtlied II). Le dosage admirable de la voix au fil du récital conduit Finley à déployer un ambitus quasi opératique dans Rachmaninov, notamment la saisissante scène Le destin, habitée comme le fut Roi des aulnes de Schubert tétanisant.
Car l’intelligence des textes est exceptionnelle : l’autorité de Prométhée qui défie les dieux, le parfait rebond sur les consonnes dans Mit einem gemalten Band de Beethoven, les teintes blafardes lorsque le berger (« Alles ist leider ein Traum ») voit que le réel lui échappe (Schäfers Klagelied).
Rastlose Liebe avait été ajouté au programme avant An Schwager Kronos après An den Mond II chanté en hommage à Hermann Prey, qui a éveillé en Gerald Finley l’intérêt pour ce répertoire. Le chanteur a ajouté à son programme trois folksongs, une de Copland, une écossaise transcrite par Respighi et Le crocodile de Britten.
La dernière présence de Finley ici remontait à 2007. Espérons le revoir avant onze ans !