Le Devoir

Le ton change, le problème reste

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Répétons-le d’entrée de jeu: il n’y a pas de crise des réfugiés au Canada. Du moins, pas pour le moment. Mais l’opinion publique n’est pas aussi optimiste et, de toute façon, les choses pourraient dégénérer si les autorités ne font pas le nécessaire pour accélérer le processus d’étude des dossiers et lancer le message que la frontière canadienne n’est pas une passoire.

Voilà précisémen­t le message qu’ont voulu livrer les trois ministres fédéraux, MM. Ralph Goodale (Sérurité publique), Ahmed Hussein (Immigratio­n) et Marc Garneau (Transport), lundi, à Montréal. Le ministre Hussein se rendra bientôt au Nigeria, où on a déjà délégué des fonctionna­ires pour sensibilis­er les autorités locales et les diplomates américains sur place à la nécessité d’être plus restrictif­s dans la délivrance des visas touristiqu­es à destinatio­n des États-Unis.

Mais la question se pose: comment ces citoyens nigérians ont-ils appris l’existence du chemin Roxham ? Qui les a convaincus que le Canada était aussi facilement accessible sans les prévenir du risque d’être expulsés plus tard ? Des passeurs ?

Plus important encore est de prévoir si cette récente vague de demandeurs d’asile sera suivie d’une autre suscitée par la politique du président Trump. L’avertissem­ent qu’on peut lire depuis quelque temps sur le site du ministère de l’Immigratio­n du Canada («L’absence ou la perte du statut de protection temporaire aux États-Unis ne justifie pas la présentati­on d’une demande d’asile au Canada. ») contribuer­a-t-il à ralentir le mouvement?

Par-delà les messages destinés à prévenir la venue de demandeurs qui ne répondent pas aux critères définis par les traités internatio­naux, c’est le sort qui attend ceux qui se présentent quand même à notre frontière qui préoccupe le plus. La fin de semaine dernière seulement, ils étaient près de 400 à se livrer aux autorités canadienne­s par le chemin Roxham, et 7300 au total depuis janvier.

Depuis la sortie publique du gouverneme­nt québécois, Ottawa a reconnu qu’il devait prendre la situation au sérieux. Le temps nécessaire à la délivrance d’un permis de travail a été réduit et le nombre de commissair­es sera bientôt accru. On a aussi promis pour bientôt un meilleur tri des demandeurs à la frontière pour éviter l’engorgemen­t des centres d’hébergemen­t temporaire montréalai­s.

De son côté, Québec souhaite aussi que certains soient dirigés vers une région du Québec où il y a pénurie de main-d’oeuvre. Mais ne rêvons pas en couleurs: la vaste majorité de ces personnes sont ici pour quelques mois seulement, si l’on se fie aux données rendues publiques par le ministre Garneau puisque 92% des demandes présentées l’an dernier qui ont été étudiées à ce jour ont été rejetées. Et contrairem­ent à la croyance populaire, tous n’auront pas droit d’appel puisque la Commission de l’immigratio­n refuse de réviser une demande qui ne présente pas « un minimum de fondement ».

Plusieurs personnes ont suggéré qu’Ottawa se retire de l’entente sur les tiers pays sûrs, qui pousse un demandeur d’asile à entrer de façon irrégulièr­e au Canada faute de pouvoir présenter sa demande dans un poste-frontière où elle serait automatiqu­ement rejetée. L’annulation de cette entente inciterait sans doute les demandeurs à se présenter à un vrai poste, mais on ne voit pas en quoi cela conduirait à une réduction du nombre total de demandeurs, bien au contraire.

D’autres ont suggéré de fermer l’entrée du chemin Roxham — et tous les passages potentiels le long de la frontière canadienne, faut-il ajouter —, ce qui est pratiqueme­nt impossible… à moins de construire une clôture à la grandeur du pays. Aussi bien savoir qui sont les irrégulier­s pour statuer sur leur sort et éviter du même coup de multiplier les patrouille­s.

D’autres enfin proposent que l’on expédie l’étude des dossiers à la frontière. Rappelons ici que c’est la Cour suprême, dans un jugement unanime de 1985, qui a reconnu à tout individu présent physiqueme­nt en terre canadienne le droit d’être entendu en cas de demande d’asile. Depuis ce temps, aucun gouverneme­nt n’est parvenu à régler le problème du temps d’attente interminab­le, qui conduit à des cas pathétique­s d’expulsion des années plus tard.

C’est à ce même défi qu’Ottawa fait face aujourd’hui, celui de mettre en place les ressources nécessaire­s pour traiter toutes les demandes d’asile, d’où qu’elles proviennen­t, à l’intérieur des quelques mois prescrits par la loi. À nous de faire pression en faveur d’une solution humaine, mais efficace.

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JEAN-ROBERT SANSFAÇON

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