Le Devoir

La rareté de main-d’oeuvre frappe de plus en plus durement les PME manufactur­ières québécoise­s

- ÉRIC DESROSIERS

Le problème de rareté de main-d’oeuvre ne s’est jamais fait aussi durement sentir dans les PME manufactur­ières québécoise­s et, pourtant, elles tardent toujours à investir dans les technologi­es susceptibl­es de compenser le manque de bras et de cerveaux, rapporte une enquête.

Au premier regard, on serait porté à croire que les choses vont plutôt bien pour le monde manufactur­ier québécois, en dépit des rumeurs de guerre commercial­e qui grondent au sud de la frontière et en dépit du lent déclin de son poids relatif dans l’économie.

Porté, entre autres, par l’accélérati­on de la croissance mondiale et la faiblesse relative du dollar canadien, le secteur a affiché, l’an dernier, des ventes totales (156 milliards) et un nombre de travailleu­rs (419 000) qu’on ne lui avait pas vus depuis au moins six ans, a noté Sous-traitance industriel­le Québec (STIQ), une associatio­n d’entreprise­s visant à améliorer la compétitiv­ité des chaînes d’approvisio­nnement manufactur­ières, dans la 9e édition annuelle de son Baromètre industriel québécois dévoilé lundi. Un lourd nuage n’a toutefois pas cessé de grossir, notamment au-dessus de la tête des petites et moyennes entreprise­s (PME) du secteur en raison de l’impact du vieillisse­ment de la population sur la disponibil­ité de main-d’oeuvre.

«Les problèmes de recrutemen­t et de rétention du personnel n’ont jamais été aussi aigus. […] La situation est critique au point qu’elle compromet la croissance même de plusieurs entreprise­s», constate STIQ au terme d’une enquête réalisée auprès de 500 entreprise­s de 10 à 500 employés et dont la marge d’erreur est d’environ 4 %, 19 fois sur 20. Plus de quatre répondants sur cinq (82%) qualifient désormais leur problème de recrutemen­t d’assez important ou de très important, alors que cette proportion était encore des deux tiers (66%), il y a cinq ans à peine.

Plusieurs entreprise­s rapportent avoir adopté des mesures pour lutter contre ce «frein majeur» à leur développem­ent, comme l’adoption de politique de conciliati­on travail-famille, l’améliorati­on de l’environnem­ent de travail, la formation à l’interne de nouveaux employés moins qualifiés ainsi que le recrutemen­t par les réseaux sociaux ou à l’étranger. La logique économique voudrait qu’elles se tournent également vers l’améliorati­on de leur productivi­té par la formation de leur main-d’oeuvre et l’investisse­ment dans l’automatisa­tion et autres technologi­es numériques.

L’enquête de STIQ montre d’ailleurs que ces stratégies sont associées, dans une sorte de cercle vertueux, à une hausse des ventes, à une augmentati­on du nombre d’employés, à une diversific­ation de la clientèle, à une hausse des exportatio­ns et à plus d’innovation.

Cancres de la productivi­té

Or l’améliorati­on de la productivi­té n’est pas la matière forte des entreprise­s canadienne­s, rappelle STIQ. Elle a même reculé depuis 2012 dans le secteur manufactur­ier au Québec, en raison notamment de la «stagnation des investisse­ments ».

L’an dernier, environ un tiers (32%) des PME manufactur­ières ont investi plus de 5% de leur chiffre d’affaires en achat d’équipement, révèle le sondage de STIQ. Cette proportion tombe à seulement 13% en matière d’investisse­ments en recherche et développem­ent et alors que seulement 15% des entreprise­s ont investi plus de 2% de leur chiffre d’affaires dans les technologi­es de l’informatio­n et de la communicat­ion (TIC).

Une «proportion non négligeabl­e» des dirigeants d’entreprise­s sondés disent pourtant avoir intégré ou prévoir le faire l’un ou l’autre des principaux types de technologi­e associée à l’usine intelligen­te, comme la surveillan­ce et le contrôle en temps réel (52%), l’interconne­xion des équipement­s (40%) et la robotique (34%). Ironiqueme­nt, rapporte STIQ, l’une des raisons évoquées pour ne pas investir davantage dans les nouvelles technologi­ques est «la difficulté à trouver de la maind’oeuvre qualifiée pour faire fonctionne­ment les nouveaux équipement­s».

Toutes ces tendances dépendent fortement de la taille des entreprise­s en cause, 78 % de celles comptant de 100 à 500 employés rapportant, par exemple, s’être donné un plan stratégiqu­e de développem­ent, contre seulement 30 % de celles ayant de 10 à 19 employés.

«Les gens sont de plus en plus conscients qu’ils doivent procéder à des investisse­ments technologi­ques, et cette prise de conscience est aidée par un changement génération­nel», a expliqué en entretien téléphoniq­ue au Devoir Richard Blanchet, présidentd­irecteur général de STIQ. Il estime aussi que l’aide financière et profession­nelle des gouverneme­nts et du secteur privé est aussi plus accessible.

« Maintenant, est-ce que les chefs d’entreprise peuvent le faire au rythme qu’on souhaitera­it? C’est moins évident, parce qu’ils sont pris dans le quotidien. Tu as des commandes à sortir, mais comme tu manques d’employés, tu es dans le jus, donc tu n’as pas le temps de t’asseoir pour réfléchir aux investisse­ments que tu devrais faire et, comme tu n’as pas investi dans les technologi­es nécessaire­s, tu as de plus en plus de mal à répondre aux demandes de tes clients. C’est un cercle vicieux. »

«Les gens sont de plus en plus conscients qu’ils doivent procéder à des investisse­ments technologi­ques, et cette prise de conscience est aidée par un changement génération­nel

Richard Blanchet, président-directeur général de Sous-traitance industriel­le Québec (STIQ)

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR

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