La chanson belge pleure la disparition subite de Maurane
«C e matin, toutes les mamas sont en deuil», m’écrit la chanteuse et comédienne belge Karin Clercq, en réponse au message envoyé par le truchement du fil privé de Facebook. Toutes les mamas : chanson à bras ouverts, généreuse comme l’était Maurane, peut-être la plus emblématique de son répertoire. La Belgique, et la famille chanson francophone belge, ont appris la nouvelle au lever, comme si les yeux ne s’étaient ouverts que pour pleurer: leur Maurane est morte.
Morte? Maurane? À 57 ans? Maurane, la si vivante Maurane? C’est confirmé, c’est à la télé, dans les journaux. Dans Le Soir, le collègue Thierry Coljon raconte la vie de Claudine Luypaerts qui fut Claudie Claude avant d’être Claude Maurane, puis Maurane tout simplement, cette vie «qui n’était pas un fleuve tranquille». Dimanche dernier, après une absence de deux ans, les ennuis de santé s’accumulant, elle était finalement revenue à la scène, le temps de chanter Brel, premier pas vers un album consacré au grand Jacques. La retrouver en forme réjouissait, le choc n’en est que plus terrible. La Marie-Jeanne de Starmania «s’en va, discrète, différente, et nous laisse tout tristes, tous perdus», écrit encore Thierry Coljon.
Je le rencontre chaque année aux FrancoFolies de Spa, Thierry, avec toute la smala chansonnière belge, collée serrée: on y pleure encore Pierre Rapsat, disparu il y a 16 ans. Avant les Francos, dans la première moitié des années 1980, la jeune Maurane avait remporté un prix au vénérable Festival de Spa. Tout naturellement, ce sont les proches du festival ardennais qui ont répondu à mon appel, dans la nuit québécoise et le matin belge.
Karin Clercq, chanteuse et comédienne
«J’avais 17 ans quand j’ai entendu un matin à la radio Toutes les mamas. Je me vois encore danser dans ma chambre d’adolescente. Il y avait quelque chose d’unique dans cette voix chaude, puissante. Un peu de chaque pays, un peu de chaque couleur. Quelque chose d’universel et qui donne une pêche d’enfer. Elle s’appelle Maurane, grésille la voix de la radio et elle est Belge. Maurane… [...] Un nom qu’on allait entendre souvent par la suite et pas seulement dans notre petit pays, mais dans toute la francophonie. Maurane ne s’arrêta pas à un tube et fit rapidement découvrir l’étendue de son talent à travers des interprétations remplies d’émotion. On ne pouvait pas passer à côté ou être indifférent. On s’est croisée ci et là, au détour d’une scène, d’un bar, et ce qui m’a frappée en plus de son talent d’artiste, c’est son côté franc, concret, vivant, terrien et festif. Ce matin, toutes les mamas sont en deuil. »
Charles Gardier, codirecteur des FrancoFolies de Spa
«Je vois une artiste vraie et courageuse avec la voix d’un ange. Je la revois ce week-end tellement émue de pouvoir chanter à nouveau et de retrouver son public. Je la sens pleine de projets et d’envies. Nous parlons de son retour aux Francos en 2019 et de sa venue en 2018 comme présidente du Franc’off: j’ai vraiment beaucoup de peine à admettre son départ. Je me dis juste qu’elle est morte un peu comme Molière: en scène. Je suis heureux d’avoir comme dernier souvenir Maurane rayonnante et heureuse en train de chanter Jacques Brel.»
Patrick Printz, directeur sortant de l’organisme Wallonie-Bruxelles Musiques
« Difficile pour moi d’imaginer la disparition d’une telle voix, reflet d’une personnalité attachante et complexe, tour à tour sensible, profonde, révoltée, parfois en douleur. C’est évidemment la stupéfaction qui domine ce matin. Maurane, c’est également pour moi la coproduction avec Pierre Barouh (Saravah), Remi Le Moal (Editions 23), de son premier album, Danser, en 1986, quand j’étais aux commandes du label Franc’Amour. Une expérience passionnante pour un jeune label que d’accompagner le développement d’une artiste, encore en devenir à ce moment, mais où tout laisser déjà présager l’arrivée d’un talent hors norme. »
Pierre Collard Bovy, vétéran de la radio belge
«Ce n’est qu’en me levant ce matin que j’ai entendu cette p… de nouvelle, je croyais que j’étais dans un cauchemar. Ce qui me revient spontanément en mémoire c’est lors d’une émission Couleur Nuit en 1986 [...]. Maurane commence à chanter Fais soleil, accompagnée de son pianiste de l’époque Charles Loos. Donc duo piano-voix. Après plus ou moins 50 secondes, Toots Thielemans, grand musicien de jazz, invité principal de l’émission, ne résiste pas au swing de Maurane et en pleine improvisation sort son harmonica et accompagne Maurane qui, évidemment, n’en revient pas. Les musiciens de Toots, entendant le «patron» jouer, sont revenus progressivement se joindre à la jam. Tout cela en direct à la radio! Cette chanson qui, sur les conducteurs de l’émission, devait faire 3min 30s, en a en réalité fait 7min 40s!!! Le public était debout et en délire et l’animateur de radio “buvait du petit lait” tant il était ému de ce qu’il vivait. Ce que je retiens d’elle, c’est surtout sa gentillesse, sa fidélité, en plus de cette voix à jamais inimitable. »