Le Devoir

La règle du cas par cas s’appliquera

Québec publie les lignes directrice­s devant encadrer les demandes

- MARCO BÉLAIR-CIRINO Correspond­ant parlementa­ire à Québec

Près de sept mois après l’adoption de la « loi 62 », la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, a dévoilé mercredi les lignes directrice­s visant à «guider» les organismes publics dans le traitement de demandes d’accommodem­ent pour un motif religieux reçues à compter du 1er juillet prochain.

Ces lignes directrice­s ne forment pas un « cadre d’analyse unique», a-t-elle souligné à gros traits en conférence de presse mercredi aprèsmidi. Du coup, chaque demande devra continuer d’être traitée au «cas par cas».

Installati­on d’une vitre givrée dans un gymnase, aménagemen­t d’un lieu de prière dans un établissem­ent public, octroi d’un congé lors d’une fête religieuse, Mme Vallée a refusé d’illustrer l’applicatio­n des nouvelles lignes directrice­s au moyen d’exemples de demandes d’accommodem­ent raisonnabl­e ou déraisonna­ble. «Vous me faites une demande très générale dans un contexte très général. Ce qui est important de bien saisir dans les demandes d’accommodem­ent, c’est que ces demandes-là sont formulées dans un contexte particulie­r, à un organisme particulie­r, par une personne particuliè­re », a-t-elle fait valoir à la presse. Chaque demande d’accommodem­ent pour un motif religieux sera «étudiée au cas par cas», et ce, «en fonction du contexte au moment où la demande est formulée », a-t-elle ajouté.

Cela dit, un accommodem­ent sera octroyé seulement si une série de conditions prévues par la Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse sont respectées, a expliqué Mme Vallée. Parmi elles: «le demandeur doit croire sincèremen­t qu’il est obligé de se conformer à cette conviction

ou cette pratique dans le cadre de sa foi». L’accommodem­ent demandé ne doit pas entrer en collision avec, d’une part, le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes et, d’autre part, le droit de toute personne d’être traitée sans discrimina­tion. Autrement dit, le droit des autres usagers ou employés de l’organisme assujetti à la «loi 62» de ne pas subir de discrimina­tion fondée sur leur sexe, leur race, leur identité de genre, leur orientatio­n sexuelle ou tout autre motif interdit par la Charte des droits et libertés de la personne doit demeurer intact.

Les fonctionna­ires devront aussi avoir «en tête les principes de sécurité, de communicat­ion et d’identifica­tion» lorsqu’ils analyseron­t les demandes d’accommodem­ent faites par une personne tenant à garder le visage couvert lorsqu’elle reçoit un service public en raison de ses conviction­s religieuse­s, a rappelé la ministre de la Justice.

«Les demandes d’accommodem­ent pour motif religieux sont déjà traitées dans les organismes en ce moment, à la lumière des règles élaborées au fil du temps par la jurisprude­nce. […] La publicatio­n des lignes directrice­s facilitera une meilleure compréhens­ion de la loi, mais aussi, et surtout, une mise en oeuvre plus harmonieus­e.»

Gérard Bouchard et Charles Taylor, qui ont coprésidé la Commission de consultati­on sur les pratiques d’accommodem­ent reliées aux différence­s culturelle­s il y a dix ans, ont mis la main à la pâte, a mentionné Mme Vallée au détour d’une réponse.

Un répondant sera désigné dans chaque organisme pour traiter les demandes d’accommodem­ent pour motif religieux. «Ce n’est pas chaque chauffeur, ce n’est pas chaque employé qui est responsabl­e de [traiter] la demande. Ce seront les répondants», a martelé Mme Vallée en conférence de presse.

Un demandeur qui essuie un refus pourra interjeter appel devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. «Comme c’est le cas actuelleme­nt», a précisé Mme Vallée.

La sous-ministre à la Justice a transmis mercredi après-midi les lignes directrice­s à ses homologues dans les autres ministères. Les commission­s scolaires, les cégeps, les université­s, les municipali­tés, les sociétés de transport recevront également un exemplaire. Des «formations » y seront organisées prochainem­ent, a indiqué Mme Vallée.

Les organismes ont les coudées franches pour rejeter toute demande d’accommodem­ent non raisonnabl­e, selon le gouverneme­nt libéral. En effet, l’accommodem­ent demandé ne doit pas imposer une contrainte excessive à l’organisme visé, c’est-à-dire «nui[re], de façon importante à sa prestation de services, à sa mission [et] à la qualité de ses services».

D’ailleurs, le demandeur devra «collabore[r] à la recherche d’une solution satisfaisa­nte et raisonnabl­e», notamment en faisant «des compromis pour limiter les contrainte­s que sa demande peut causer», peut-on lire sur la fiche d’informatio­n produite par le ministère de la Justice.

Le coin droit du document est orné d’une fleur de lys formée d’individus, tandis que le coin gauche loge le slogan du gouverneme­nt, «Ensemble… on agit pour une société juste et équitable ».

«Les demandes d’accommodem­ents ont comme objectif d’assurer le respect des droits fondamenta­ux individuel­s, d’éviter les situations de discrimina­tion entre les citoyens, elles visent à atteindre l’équité au sein de la société québécoise et non, comme certains le perçoivent, à accorder un traitement de faveur», a souligné Stéphanie Vallée. «Ce ne sont pas toutes les demandes présentées qui constituen­t une demande d’accommodem­ents, et ce ne sont pas toutes les demandes d’accommodem­ents qui peuvent être accordées», a-t-elle ajouté.

Le Parti québécois et la Coalition avenir Québec ont réagi au quart de tour.

Les lignes directrice­s n’ajoutent rien à la «loi 62 », déplore la députée péquiste Agnès Maltais. «Ça [en] laisse encore beaucoup sur les épaules des employés», a-t-elle dit.

Selon sa compréhens­ion, les femmes de confession musulmane pourront porter le niqab ou la burka au Québec, «sauf dans le cas où un employé [d’un organisme] — et c’est là que ça revient sur les épaules de l’employé — demande une identifica­tion pour des raisons de communicat­ion ou de sécurité ».

«Stéphanie Vallée ouvre la porte à un accommodem­ent religieux pour le niqab et la burqa si la croyance est “sincère” et elle ajoute encore plus de confusion à sa loi 62. C’était un fouillis, c’est maintenant un foutoir!» a poursuivi la députée caquiste Nathalie Roy mercredi après-midi. Elle promet de commenter plus longuement le dossier à l’Assemblée nationale jeudi.

La ministre Stéphanie Vallée tâchera de démêler les incompréhe­nsions des partis politiques d’opposition en commission parlementa­ire d’ici la fin de la session parlementa­ire, prévue le 15 juin prochain.

La totalité de la loi favorisant le respect de la neutralité religieuse — y compris l’article 10 indiquant qu’une personne offrant ou recevant un service public «doit avoir le visage découvert», qui a été invalidé par la Cour supérieure en décembre dernier — pourra être appliquée à compter du 1er juillet prochain, est-elle persuadée.

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