Le Devoir

Fermons la brèche

Un an après la tuerie à la grande mosquée de Québec et plus de 29 ans après celle de Polytechni­que, il est encore possible au Canada de posséder légalement des armes d’assaut. Le projet de loi C-71 présenté par le gouverneme­nt Trudeau ne corrige malheureu

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Lundi, 79 personnes, dont les blessés et familles des victimes de la tuerie de la grande mosquée de Québec, ont écrit au premier ministre Justin Trudeau pour lui enjoindre d’interdire aux citoyens la possession d’armes d’assaut. En comité parlementa­ire mardi, le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, a entrouvert la porte. Il a dit qu’il serait prêt à examiner une propositio­n «constructi­ve», mais il préférerai­t d’abord adopter le projet C-71, autour duquel il y aurait un certain «consensus». Mais ce projet a aussi soulevé l’ire du lobby des armes à feu et du Parti conservate­ur. Aller plus loin inquiète donc les libéraux, qui ont payé cher par le passé la mise en place du défunt registre des armes d’épaule. Ceci expliquera­it aussi la réponse du premier ministre, qui s’est réfugié derrière une dispositio­n du projet de loi mettant fin au pouvoir du cabinet d’annuler les décisions de la GRC en matière de classifica­tion des armes à feu.

Il s’agit toutefois d’une esquive, car si la GRC procède à la classifica­tion technique des armes, elle le fait en appliquant les catégories et critères prévus dans le Code criminel. Et ce Code, seuls les élus peuvent le modifier. Il faut donc un projet de loi pour interdire les armes d’assaut. Malheureus­ement, C-71 n’en souffle mot.

Le Code prévoit actuelleme­nt trois catégories d’armes à feu: sans restrictio­n, à autorisati­on restreinte et prohibées. Les critères sont si lâches que certaines armes semi-automatiqu­es sont légales sans restrictio­n au Canada. Elles ne sont donc pas enregistré­es, ce qui fait qu’on ignore combien il y en a en circulatio­n. D’autres armes semi-automatiqu­es sont à autorisati­on restreinte et enregistré­es alors que les armes automatiqu­es, elles, sont toutes prohibées.

Les armes longues semi-automatiqu­es sont pourtant des armes d’assaut, une expression que le Code criminel n’utilise pas, mais qui désigne couramment les versions civiles d’armes conçues à des fins militaires. Du genre de celles, toutes légales, qui ont servi lors des tueries à la grande mosquée de Québec, à Moncton, au collège Dawson et lors de l’attentat du Métropolis.

Liée par la classifica­tion actuelle, la GRC a même approuvé au printemps 2017, dans la catégorie à autorisati­on restreinte, deux armes décrites comme des «mitraillet­tes» par leurs fabricants. Une autre arme semi-automatiqu­e a été approuvée sans restrictio­n à cause de… la longueur du canon. Pourtant, dès 2012, la GRC disait dans une note obtenue par PolySeSouv­ient qu’une réglementa­tion désuète «posait un risque pour la sécurité publique en permettant que des armes conçues à des fins militaires et paramilita­ires soient aisément accessible­s au public».

Une arme à feu devrait être classée en fonction du niveau de risque qu’elle représente, et bien que les armes d’assaut soient rarement utilisées pour commettre des crimes, quand elles le sont, on est généraleme­nt face à un carnage.

Le ministre Goodale doit corriger cette lacune de C-71, peutêtre une des plus sérieuses du projet de loi. Il devrait idéalement l’amender ou enclencher immédiatem­ent la révision de la classifica­tion et fixer une date butoir pour la mettre à jour.

Les signataire­s de la lettre transmise au premier ministre se demandaien­t si ce silence, au détriment de la sécurité publique, était motivé par la peur qu’inspirait aux députés libéraux une minorité d’amateurs d’armes. Si M. Goodale ne fait rien ou si son patron l’en empêche, les victimes et leurs alliés auront leur réponse.

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MANON CORNELLIER

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