Le Devoir

Verrouilla­ge libanais

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Les profondes fractures politico-confession­nelles restent entières au Liban à l’issue des législativ­es de dimanche dernier, les premières à s’y tenir en neuf ans. Qu’une certaine dose de représenta­tion proportion­nelle ait été injectée pour la première fois dans le mode de scrutin permettait d’espérer — de rêver — que ces lignes de fracture allaient enfin se défaire un peu. Le mouvement éclaté de la société civile, né de la très politique crise du ramassage des déchets en 2015, crise qui fut un puant révélateur de la corruption et de l’incurie de l’État, aura bien réussi à montrer le bout de son nez en faisant élire une députée indépendan­te, la journalist­e de télévision Paula Yacoubian. Une percée dont il ne faut pas sous-estimer la valeur, étant donné la faiblesse de la société civile libanaise.

Mais pour l’essentiel, ce scrutin a redessiné sensibleme­nt les mêmes blocages, en plus de les exacerber, préfiguran­t à nouveau la formation d’un gouverneme­nt bancal. Grand vainqueur du scrutin, le Hezbollah pro-iranien accroît nettement son influence au Parlement. Face à lui, le Courant du futur du premier ministre sortant, Saad Hariri, proche de l’Arabie saoudite, continue de constituer le principal représenta­nt de la communauté sunnite, encore que de manière moins absolue, puisque l’instaurati­on d’une forme de proportion­nelle a donné lieu à un éparpillem­ent relatif de son électorat — ce qui n’est pas sans signaler, du reste, une exaspérati­on à l’égard de M. Hariri — qui devrait néanmoins devenir à nouveau premier ministre — pour les accommodem­ents qu’il s’est montré prêt à faire avec le Hezbollah au nom de la stabilité du Liban.

Cette stabilité restera précaire. De fait, le Liban est le microcosme des clivages qui déchirent l’ensemble de la région. Entre influence iranienne et influence saoudienne, c’est un petit pays qui, au fond, ne s’appartient pas — ou, du moins, bien insuffisam­ment. Les Libanais n’en sont d’ailleurs pas dupes, qui sont allés voter dans une proportion d’à peine 50%.

La décision de Donald Trump de retirer les États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien n’arrangera rien. Elle va nécessaire­ment contribuer à aiguiser les tensions entre Riyad et Téhéran.

Elle risque aussi d’augmenter les risques d’affronteme­nt militaire entre l’Iran et Israël. Les deux pays se sont défiés à plusieurs reprises, dernièreme­nt, par tirs de missiles interposés en sol syrien. Qui dit que le Liban ne deviendra pas aussi le terrain de leur affronteme­nt indirect? «Liban égale Hezbollah», a écrit sur Twitter lundi Naftali Bennett, ministre israélien de l’Éducation et chef du parti d’extrême droite Le Foyer juif. Une menace que le premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, qui tient M. Trump par le bout du nez, ne se privera sûrement pas de monter en épingle.

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GUY TAILLEFER

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