Le Devoir

Sommet de l’Amérique sur la culture Penser l’art pour le 99 %

Quels moyens trouver afin que beaucoup plus d’oeuvres atteignent beaucoup plus de gens ?

- CATHERINE LALONDE

La mondialisa­tion et les communicat­ions hypermoder­nes permettent une plus grande circulatio­n de l’art. C’est du moins ce que l’on croit. Mais nommez pour voir — et pas le droit de googler! — un artiste actuel important du Paraguay, du Chili et du Brésil. C’est que «la soi-disant mondialisa­tion de la culture reste la mondialisa­tion d’un 1%», illustrait en entrevue au Devoir le directeur et chef de la direction du Conseil des arts du Canada (CAC), Simon Brault. Une mondialisa­tion qui est trop souvent une autre manière de dire l’hégémonie de la culture sinon américaine, du moins occidental­e. « Toute l’attention, les revenus, les ressources sont captés par beaucoup moins que 1%» des artistes, des pays. Le Sommet des Amériques sur la culture 2018, organisé par le CAC, entend révéler d’autres visages, et construire d’autres routes pour de nouveaux échanges.

Depuis mercredi, des représenta­nts de 25 pays des Amériques, sur les 35 qui les forgent, sont réunis à Ottawa. Les ministres et vice-ministres de la Culture de huit d’entre eux — Argentine, République dominicain­e, Équateur, Salvador, Guatemala, Haïti, Jamaïque, Paraguay — sont présents, ainsi que 24 ambassadeu­rs, «qui seront ensuite les relais, au quotidien, pour la suite et l’incarnatio­n des choses», rappelait Simon Brault. «On est à l’heure où la seule façon pour un pays de vivre, de survivre et de se développer sera d’avoir des relations multilatér­ales; à l’heure de la multiplica­tion des partenaire­s, et pas de la dépendance envers un seul allié — surtout s’il nous impose sa culture. »

Le directeur du CAC poursuit: «Même sur le plan des modèles de politique, je pense qu’on a besoin de s’inspirer davantage de ce qui se passe sur notre continent, au lieu de regarder en Europe.» Un exemple? «En Argentine, il existe un fonds équivalant au CAC, financé à partir des droits sur les oeuvres qui tombent dans le domaine public. Ici, quand une oeuvre devient publique [50 ans après le décès de l’auteur], on ne paie plus de droits. En Argentine, ils continuent à les percevoir, et les réinjecten­t en création. Moi, ça, ça m’intéresse», indiquait le directeur du CAC.

Concrèteme­nt

Parmi les buts avoués de ce Sommet, se listent, à court terme, la signature d’ententes entre pays des Amériques — «un modèle qu’on a exploré avec l’Europe», précise M. Brault, «mais très peu avec les Amériques» —, la constructi­on de nouvelles routes de tournées pour les artistes, des co-investisse­ments et coproducti­ons, des invitation­s entre pays. Et à moyen terme, le désir de renforcer la grande voix, chorale et polyphoniq­ue, américaine.

Car il y aura, en 2019 à Kuala Lumpur, en Malaisie, un Sommet mondial de la culture. «On voulait s’assurer qu’à ce prochain Sommet mondial, la discussion ne sera pas encore une fois dominée par l’Europe et les États-Unis. Une des manières de faire, c’est de rééquilibr­er les conversati­ons continenta­les. Pour les Amériques, eh bien voilà… C’est là-dessus qu’on travaille», avec ce Sommet qui durera jusqu’au 11 mai, autour du thème de la citoyennet­é culturelle.

Un autre enjeu des discussion­s, c’est de penser aux manières de rendre l’art accessible à un public qui n’est pas seulement un 1% privilégié, éduqué, souvent mieux nanti. «Plusieurs pays d’Amérique latine ont depuis très longtemps des traditions d’art et d’inclusion sociale très importante­s. Pensons seulement au théâtre d’Augusto Boal [au Brésil]. Aucun pays, pratiqueme­nt, ne peut continuer à penser ses politiques publiques sans se préoccuper des enjeux d’inclusion, sans chercher à donner des voix à tous les groupes qui se trouvent plus ou moins sans voix actuelleme­nt.» La réconcilia­tion et le numérique sont deux autres thèmes communs.

«Je crois vraiment que nos artistes et nos Canadiens ont absolument besoin, concluait M. Brault, pour leur développem­ent à long terme, d’un accès à l’internatio­nal. Et pas juste d’un accès à un pays ; pas juste à la France ou à l’Angleterre, ou à ces marchés qu’on dit “matures”, mais aussi aux pays d’Amérique latine, qui recèlent d’immenses possibilit­és. »

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TONY FOUHSE Le directeur et chef de la direction du Conseil des arts du Canada (CAC), Simon Brault

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