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Dans Plaire, aimer et courir vite et Yomeddine, Christophe Honoré et A. B. Shawki dressent le portrait deux hommes qui luttent avec leur corps
Si un film français était attendu ici avec ferveur, c’est bien celui de Christophe Honoré. Après Les chansons d’amour en 2007, le voici de retour en compétition cannoise avec Plaire, aimer et courir vite. Les médias de l’Hexagone qui l’avaient déjà vu s’enthousiasment, règle générale, mais il devrait diviser fortement, voire rebuter la presse étrangère. Plusieurs journalistes quittaient la salle en cours de route. Ce cinéaste a un côté kitsch qui en excède plusieurs.
Pas moyen d’éviter le parallèle avec 120 battements par minute, de son compatriote Robin Campillo, sur les années sida, primé l’an dernier ici, mais il est surtout d’ordre contextuel. Plutôt qu’à une lutte collective, Christophe Honoré touche à l’intime, brossant une histoire d’amour entre Arthur, un jeune Breton (Vincent Lacoste, acteur des Beaux gosses), et Jacques, un écrivain parisien sidéen en fin de parcours (Pierre Deladonchamps, admiré dans L’inconnu du lac de Guiraudie). Ce dernier déjà détaché de la vie, l’autre en découverte, sur action à Rennes et à Paris.
Les thèmes de cinéma d’Honoré: la paternité, l’homosexualité, l’idéal romantique, les aventures amoureuses s’entrelacent, mais en maintes longueurs qui plombent le film.
À travers son combat entre Eros et Thanatos, Jacques multiplie les étreintes de passage, et cède à son attirance après bien des hésitations; amours d’abord vécues de loin, puis en feu d’artifice ultime. Si les scènes sexuelles sont tendres, ce sont les bavardages sentimentaux qui pèsent, par excès de mots. Quant aux personnages secondaires (dont un voisin joué par Denis Podalydès), laissés souvent en plan, ils s’égarent dans leur brume.
Le très beau duo d’acteurs Deladonchamps (sur son quantà-soi),
Lacoste (en offrande de jeunesse), offre des moments lumineux: la rencontre au cinéma devant La leçon de piano de Campion, une nuit d’amour dans une chambre d’hôpital. Le ton, la caméra et la mise en
scène jouent de délicatesse intimiste, parfois enjouée, Arthur et sa bande d’amis à Rennes sont criants de naturel. Restent des scènes étirées, un besoin de trop expliquer et le côté sirupeux des épanchements virils,
dont on ne sait au bout du compte comment se dépêtrer.
Il fallait venir à Cannes, parmi la cohorte des splendides vedettes, pour voir un
film donnant la vedette à un lépreux : Yomeddine de A. B. Shawky, oeuvre égyptienne en compétition dans un festival où le pays est peu représenté depuis la disparition de Youssef Chahine.
Place à un premier long métrage épousant la forme convenue du road movie de quête des origines, à travers l’odyssée d’un homme défiguré, le corps tordu, quittant sa léproserie pour connaître sa famille qui l’a abandonné. Un orphelin originaire de Nubie se joint à lui. À dos d’âne, en train, en voiture, aidé par un cul-dejatte, un nain et autres rejetés de la société, plus étonnamment par un fondamentaliste égyptien, le duo, arrêté ici, volé là-bas, épaulé plus loin, poursuit sa quête initiatique jusqu’à la lumière.
Le cinéaste avait déjà réalisé en 2008 un court métrage documentaire, The Colony, sur des résidents de la léproserie d’Abu Zaabal, dans le désert au nord du Caire, près d’une immense décharge publique. C’est là qu’il a trouvé Rady Gamal avant de mettre des mois à l’initier au jeu d’acteur.
Ses deux interprètes ne l’ont pas accompagné à Cannes: «À cause de problèmes de visa », a expliqué A. B. Shawky.
Si la forme est convenue — le cinéaste déclare avoir voulu réaliser un feel good movie —, Rady Gamal possède une grâce tirée de la souffrance d’une vie et d’un physique à terrifier les bonnes gens. À cause de lui davantage que du jeune acteur Ahmed Abdelhafiz à ses côtés (dont les plus belles scènes sont dansées), on se laisse atteindre par cette histoire, malgré sa forme, séduits aussi par la gueule des personnages secondaires, souvent inspirants, qui tous, d’une façon ou d’une autre, nous ramènent à la différence et au regard posé sur elle. Notre journaliste séjourne à Cannes à l’invitation du festival.