Le Devoir

Le néoféminis­me

- CHRISTIAN RIOUX à Paris

En voyant Denys Arcand, dimanche dernier, refuser de répondre à une question sur les quotas féminins, on pouvait se dire que la liberté de parole était bien mal en point. Tutoyé par tous sur le plateau de télévision, comme s’il n’était pas le plus grand cinéaste du Québec, il aura préféré botter en touche. On a beau s’appeler Denys Arcand, personne ne rêve d’être crucifié sur Internet. Ainsi notre plus grand cinéaste se sera-t-il livré à un ironique éloge des quotas, auquel évidemment personne n’a cru. Voilà comment se porte la liberté de parole dans le merveilleu­x monde des médias.

Cette question méritait pourtant une discussion sérieuse. L’ennui, c’est qu’elle semble portée par un néoféminis­me revanchard qui en a fait son nouveau dogme. Une nouvelle ligne de démarcatio­n (encore une!) qui séparerait irrémédiab­lement les avant-gardes progressis­tes du bon peuple réactionna­ire.

Dans la foulée de l’affaire Weinstein, la question a aussi été discutée en France. Interrogée, la ministre française de la Culture, Françoise Nyssen, s’est déclarée favorable à l’instaurati­on de quotas de femmes dans le cinéma. Un discours aussitôt applaudi par quelques vedettes, comme Juliette Binoche, Agnès Jaoui et Charles Berling. La très médiatique secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, s’est même déclarée favorable à des quotas… «partout»! De la confrérie des plombiers aux conseiller­s du pape, il faudrait donc exiger la parité parfaite dans tous les domaines de la vie. Vaste programme !

Pourtant, au-delà des formules politicien­nes, le débat est vite retombé. Car, en France, cette idée heurte une certaine vision de l’égalité entre citoyens. «Nous vivons un étrange moment où les meilleures intentions ont dérapé vers le ridicule», écrivait le chroniqueu­r Charles Consigny, qui rappelait qu’en France une loi proclame que «la création artistique est libre». Et l’auteur de se demander si demain on demandera aux écrivains de respecter la parité dans leurs romans. N’est-ce pas déjà le cas dans la « littératur­e » jeunesse ?

Cette politique de quotas semble d’autant plus inutile dans le domaine de la culture que les femmes y sont de plus en plus présentes. On pourrait dire la même chose en politique. Chacun est en mesure de le constater et les statistiqu­es le prouvent hors de tout doute. Ainsi, depuis 2006, le nombre de films produits en France par des femmes a doublé. Si les choses vont dans le bon sens, pourquoi alors faudrait-il obliger la société à avancer à marche forcée, au risque même d’infantilis­er les femmes qui n’ont pas besoin de cette béquille ?

Un professeur de violon me racontait qu’il avait assisté à Paris à des concours d’entrée au conservato­ire où les violoniste­s s’installaie­nt derrière un rideau afin de dissimuler leur identité. On demandait même aux femmes de ne pas porter de talons pour que le bruit ne permette pas au jury de deviner leur sexe. N’est-ce pas ainsi que l’on devrait toujours choisir les candidats à n’importe quel poste, peu importe le sexe, l’origine ethnique, la couleur ou l’orientatio­n sexuelle ?

Loin d’aider les femmes, le régime dérogatoir­e que constituen­t les quotas ne peut avoir pour résultat à terme que de rompre le lien de confiance et d’égalité déjà fragile entre les citoyens. Peu importe puisqu’il s’agit de réparer une inégalité passée, objectera-t-on! Mais qui n’a pas une injustice à réparer? À quel titre une bourgeoise d’Outremont devrait-elle l’emporter sur un enfant des quartiers pauvres? Cette mise en concurrenc­e des misères est la recette de la guerre civile.

Selon la juriste Anne-Marie Pourhiet, on reconnaît bien là la rhétorique marxiste, reprise mot pour mot par certaines féministes, selon laquelle l’égalité en droit des citoyens n’est qu’un leurre destiné à opprimer un groupe ou une classe sociale. Elle est aujourd’hui brandie par un néoféminis­me radical qui considère, hors de toute vérité historique, que l’histoire du monde se résume à l’exploitati­on des femmes. Ce néoféminis­me a décidé de faire l’impasse sur tous les progrès que les femmes ont connus dans l’histoire: du culte de Marie à la Réforme catholique; de l’amour courtois à l’irruption des femmes dans la vie littéraire ; du droit de vote aux lois sur l’équité salariale. Comme les léninistes du siècle dernier, qui méprisaien­t les gains des syndicats, ces nouveaux marxistes rêvent de «renverser» un mythique patriarcat. Exactement comme autrefois on voulait «renverser» le capitalism­e. Dans leur esprit, les hommes ont simplement remplacé la bourgeoisi­e.

Cette obsession des quotas procède aussi de cette idée que les hommes et les femmes ne doivent plus seulement être égaux, mais interchang­eables. Quel problème y a-t-il à ce que certains métiers demeurent plus masculins et d’autres plus féminins, pour autant qu’ils soient ouverts à tous et que l’équité salariale soit respectée? Ce n’est peut-être pas un hasard si cette obsession technocrat­ique de la parité touche deux domaines parmi les plus méprisés aujourd’hui: la politique et la culture. A-t-on déjà vu quelqu’un réclamer des quotas chez les pilotes de ligne, les neurochiru­rgiens et les ingénieurs nucléaires ?

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