Une brèche est ouverte
Le phénomène le plus prometteur des élections municipales qui se sont tenues dimanche dernier en Tunisie est sans conteste la percée réalisée par les listes dites «indépendantes» issues de la société civile, en réaction manifeste à la déception qu’inspirent les deux principaux partis issus de la révolution populaire de 2011. «Une brèche vient de s’ouvrir», veut croire Fadhel Moussa dans une entrevue au Monde. Homme de gauche, la liste indépendante dont il fait partie est arrivée en tête à Ariana, l’une des principales villes de banlieue de Tunis.
Dans le contexte d’une Tunisie sortie de la dictature il y a à peine sept ans, ces toutes premières municipal es libres marquaient un passage important dans l’ admirable mais néanmoins laborieuse transition démocratique du pays. Un passage que les électeurs ont pourtant massivement boudé en dépit de l’occasion tout à fait inédite qui leur était offerte d’exercer leur droit de vote à l’échelle locale. Le taux de participation n’a été que de 33,7%, signe de désillusion quant à l’offre politique. Ceux qui sont allés voter ont cependant fait en sorte que la mouvance composite des candidatures indépendantes décroche 32,9% de tous les sièges dans les 350 municipalités tunisiennes, devançant les deux grands partis nationaux que sont Ennahda (islamiste) et Nidaa Tounès (laïque et social-démocrate). Un résultat inattendu.
La Tunisie est admirable en ce qu’elle est le seul pays où le Printemps arabe n’a pas tourné court. Sa transition est laborieuse en ce qu’elle n’a pas tenu ses promesses de développement. La Tunisie est largement un pays de jeunes sans emploi, où le pouvoir est concentré entre les mains d’une classe politique clientéliste. Le soulèvement qui a chassé Ben Ali en 2011 est loin d’avoir donné lieu au renversement du vieil ordre économique.
Ce qui est frappant, c’est que de pareils mouvements de revendication citoyens surgissent un peu partout dans le monde: en Espagne avec Podemos, en Italie avec le M5S (passons sur son indigeste rapprochement avec l’extrême droite incarnée la Ligue du Nord), au Liban avec la — timide — percée des indépendants aux législatives de dimanche dernier…
Que faire maintenant de cette brèche? Il se trouve qu’Ennahda est bien placé pour s’emparer de la mairie dans plusieurs grandes villes du pays, dont Tunis. M. Moussa n’en pense pas moins que ces élections «vont offrir un nouveau souffle à la transition démocratique». On l’espère. Elles viendront en tout cas brasser la cage des partis établis. Pour survivre politiquement, il faudra que ces indépendants, là où ils contrôleront la mairie, parviennent très concrètement à améliorer la qualité des services à la population. Une commande lourde de défis.