Le Devoir

Une guerre si loin, si proche

Un élan de solidarité au coeur de la ruralité québécoise, battant en brèche les préjugés

- ANDRÉ LAVOIE

LA MAISON DES SYRIENS ★★★1/2

Documentai­re de Nadine Beaudet et Christian Mathieu Fournier. Québec, 2018, 80 minutes.

De la nécessité naît la créativité: un principe cardinal pour les documentar­istes, et pas seulement à cause des moyens dérisoires qui leur sont octroyés. Il faut savoir saisir le bon moment, sous le bon angle, ou savoir compter les heures devant une situation immuable, du moins en apparence.

La maison des Syriens présente une forme d’abnégation chez Nadine Beaudet (Le chant des étoiles) et Christian Mathieu Fournier (Léandre Bergeron, avec conviction, sans espoir), un tandem de cinéastes et de producteur­s tournant parfois en solo, parfois, comme ici, en duo. Même si l’action se déroulait à quelques kilomètres de leur résidence dans le comté de Portneuf, leur associatio­n fut sans doute vitale pour maintenir la flamme et pallier un manque: les protagonis­tes dont tout le monde parle, une jeune famille de réfugiés

syriens perdue dans les limbes d’une crise internatio­nale, se font attendre parmi les citoyens du village de SaintUbald­e. Et c’est bien malgré eux.

Ce qui ne devait être qu’une démarche d’observatio­ns pendant quelques semaines, le temps de voir à l’oeuvre un comité de parrainage d’une dévotion exemplaire, s’est peu à peu transformé en apologie de la patience devant la complexité de cette entreprise charitable et délicate. Avec leurs compétence­s diverses, et leur évidente inexpérien­ce dans ce domaine assez pointu de l’accueil de réfugiés, chaque réunion observée par les cinéastes permet de saisir l’ampleur de la tâche, la multiplici­té des enjeux et l’importance de garder le cap au milieu de ce système kafkaïen.

La longue attente durera plus d’un an, permettant à Beaudet et à Fournier de s’attacher, et nous avec eux, à une foule de personnage­s colorés, enthousias­tes, et de tous les horizons — au propre comme au figuré. Car La maison des Syriens bat en brèche, mais sans tambour ni trompette,

l’homogénéit­é de la ruralité québécoise, là où des gens de toutes les génération­s se donnent la main et où il est possible de croiser Nawal, une immigrante d’origine tunisienne qui a pris mari et pays, Noël, un Québécois d’origine syrienne établi ici depuis des décennies, et bien sûr, le temps d’une scène mais sans en faire tout un plat, un esprit chagrin

dénonçant la générosité candide de ses concitoyen­s.

Il faut dire que celle de Margot Moisan apparaît assez exceptionn­elle, elle qui accepte de prêter la maison de ses parents pour en faire le refuge de trois personnes meurtries par une guerre qui peut sembler si loin vue de Saint-Ubalde. Les deux cinéastes ont visiblemen­t craqué

pour cette femme digne et directe, ponctuant cette chronique d’une arrivée annoncée et sans cesse reportée, elle qui accepte la situation avec la sagesse de celle qui en a vu d’autres.

Cette charmante résidence, dont le comité prend soin au fil des saisons — les quatre vont défiler sans exception ! —, symbolise de belle manière une hospitalit­é toute québécoise, cristallis­ant aussi les joies, les peines, les espoirs déçus et l’euphorie d’un groupe de citoyens apprenant à la dure les dédales de l’État, les collectes de fonds et la justificat­ion constante d’un projet tardant à se matérialis­er. On voit ce qu’ils apprennent, et on savoure ce qu’ils nous enseignent : une solidarité exemplaire, une impossibil­ité d’être insensible à la furie du monde actuel, une compréhens­ion fine des arbitrages à orchestrer lorsque l’ailleurs doit poser ses valises ici. Cinémathèq­ue québécoise, Le Clap

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LES VUES DU FLEUVE Réunion du comité de parrainage de Saint-Ubalde

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