Le temps étiré du souvenir
Temps universel + 1, ce solo basé sur un texte de Schimmelpfennig, n’est pas fait pour les impatients
TEMPS UNIVERSEL + 1 Texte de Roland Schimmelpfennig. Mise en scène de Julien Blais. Traduction de Barbara Engelhardt et Emmanuel Béhague. Production du Collectif Isochrone. Au théâtre La Chapelle jusqu’au 12 mai. «A bscons» est l’un des mots leitmotivs de Temps universel +1. Et on a un peu envie de renvoyer ce terme à l’oeuvre exigeante de Roland Schimmelpfennig, partition à laquelle s’attaque bravement le Collectif Isochrone. À travers ce monologue réitératif, le dramaturge allemand contemporain capture la nature circulaire de la mémoire. À part cette dimension répétitive, le texte n’a pas grandchose à voir avec sa pièce vue précédemment, Le royaume des animaux, montée par Angela Konrad au Quat’Sous.
Après une rupture avec son amant, une femme recluse chez elle ressasse ses souvenirs, croit-on comprendre. Prise dans une sorte de boucle temporelle, elle dresse, obsessivement, la topographie des lieux, fait l’inventaire d’objets et d’images, mesure les «phases» de cette relation. Comme dans une tentative de retenir cette réminiscence, de fixer ce moment enfui.
Afin d’explorer le lien entre souvenir et cinéma, la production dirigée par Julien Blais a, selon les documents promotionnels, fait beaucoup de recherches autour de la vidéo, privilégiant un travail où la «technologie n’est plus un simple outil scénographique, mais devient un véritable partenaire de jeu». Fort bien, mais sur scène, ce rôle prépondérant de la vidéo n’est pas patent pour le spectateur. Le « solo numérique » annoncé tient essentiellement, la plupart du temps, à des images de l’interprète, qui se filme avec une petite caméra, projetées sur le décor. Il y a certes visiblement une recherche formelle derrière cette production : le travail sonore d’Ariane Lamarre (cette goutte d’eau qui semble marquer le temps et la solitude), l’éclairage de Hugo Dalphond qui permet une certaine composition picturale devant les stores vénitiens…
Ce qui est notable, par contre, c’est le traitement plus psychologique et concret réservé à une oeuvre qui relève pourtant d’une plongée dans un espace mental — peut-être dans un effort de la mise en scène pour rendre la situation plus lisible, le texte plus dramatique. Placée dans un environnement naturaliste recréant une cuisine, la protagoniste est campée ici comme une femme en peine d’amour qui s’épanche ou s’emporte contre l’absent. La comédienne Hynda Benabdallah titube parfois comme si elle était ivre (on la voit d’ailleurs boire), trébuche, gesticule à grands gestes. Dommage parce que son jeu, qui comporte des variations de registre, porte le texte avec une présence assez forte lorsqu’il est posé. Dans l’ensemble, malgré ses excès, sa maîtrise de cette partition difficile durant plus d’une heure trente est méritoire.
J’aurais envie d’ajouter que le patient spectateur a aussi un certain mérite… Le solo de Roland Schimmelpfennig s’emploie à dilater le temps, et le spectacle créé à La Chapelle paraît en rajouter. Comme s’il voulait reproduire l’expérience d’une boucle temporelle vraiment étirée.