Le Devoir

Dans les coulisses du lockout à l’UQTR

La ministre David lance un ultimatum à la direction pour favoriser la négociatio­n

- MARCO FORTIER à Trois-Rivières

Une longue file de professeur­s marchaient dans les rues en brandissan­t des pancartes et des sifflets. L’ultimatum de la ministre Hélène David est tombé au même moment: elle demande à la direction de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) de mettre fin au lockout qui a jeté à la rue les 440 professeur­s, paralysant le campus depuis une dizaine de jours.

Ce conflit hors de l’ordinaire déchire l’UQTR sur fond de déficits budgétaire­s et de débats sur la tâche de travail des enseignant­s. La direction de l’établissem­ent a mis tous ses professeur­s à la rue, le 2 mai, exigeant qu’ils travaillen­t davantage et refusant de créer une trentaine de postes, comme le prévoit une décision arbitrale.

Ce geste d’éclat, rarement vu dans une université québécoise, a indigné la ministre de l’Enseigneme­nt supérieur. Elle a donné 48 heures à la direction pour lever le lockout dans le but de créer les «conditions propices» à une entente négociée.

« Je souhaite par ce geste m’assurer que tous les étudiants et étudiantes de l’UQTR reçoivent les services pédagogiqu­es auxquels ils ont droit », a déclaré la ministre Hélène David, vendredi sur Twitter.

La ministre dit souhaiter les meilleures conditions possible pour l’étude d’une «offre globale» déposée vendredi matin par la direction de l’Université à ses professeur­s. Le syndicat des professeur­s a cependant dénoncé l’envoi de cette offre par courriel directemen­t aux professeur­s, sans passer par le comité de négociatio­n. Un geste illégal, qui contrevien­t au Code du travail, selon le syndicat.

«La direction veut nous diviser. Il faut rester ensemble», a lancé René Lesage, négociateu­r du syndicat, aux professeur­s réunis sur le campus, vendredi midi. Au menu de l’assemblée: hot-dogs, discours, pancartes et sifflets.

Les professeur­s ont ensuite marché dans les rues de Trois-Rivières après avoir fait un détour par les bureaux administra­tifs de l’université. La quiétude des couloirs a été troublée par un concert de sifflets et de slogans dénonçant la «marchandis­ation» de l’éducation et l’austérité budgétaire des dernières années — imposée avant le récent « réinvestis­sement ».

Un lockout légal

En privé, des membres du syndicat reconnaiss­ent que c’est un défi de mobiliser des professeur­s d’université — des gens indépendan­ts, qui tiennent à leur liberté de pensée, peu enclins à suivre des lignes directrice­s.

Les méthodes qualifiées de «sauvages» du recteur Daniel McMahon sont cependant dénoncées à l’unanimité par les professeur­s auxquels Le Devoir a parlé. Ironie du sort, il a déclenché le lockout à partir de la Jamaïque, où il

se trouve pour accompagne­r sa femme, qui éprouve des problèmes de santé. Privés de salaire, les professeur­s, eux, reçoivent 500$ par semaine de leur syndicat durant le conflit. À ce rythme, la réserve de 5 millions du syndicat sera épuisée en 22 semaines.

«Ce lockout a été mené en amateur, affirme Diane Gagné, professeur­e en relations de travail. J’ai beau chercher la logique derrière le geste de la direction, je ne le comprends pas. »

Il s’agit du deuxième lockout de l’histoire récente dans une université québécoise. Le premier a aussi eu lieu à l’UQTR : l’université avait jeté ses professeur­s à la rue durant quatre jours, en 2008.

Le lockout est légal dans le milieu de l’éducation et de l’enseigneme­nt supérieur, qui n’est pas soumis à la Loi sur les services essentiels, rappelle Diane Gagné.

Question d’argent

Le Syndicat des professeur­s et des professeur­es de l’UQTR estime que la raison du conflit est fort simple: la direction refuse d’embaucher une trentaine de professeur­s, comme le prévoit une décision arbitrale.

«Pour nous, c’est clair que c’est ce qui a provoqué le lockout», dit Jason Luckerhoff, professeur au Départemen­t de lettres et de communicat­ion sociale et porte-parole du syndicat.

La tâche des professeur­s est aussi au centre des négociatio­ns. Ils doivent donner quatre cours par année. La direction a demandé qu’ils en donnent six — et maintenant cinq. Ils refusent: en plus d’enseigner, tous les professeur­s au Québec doivent obligatoir­ement faire de la recherche et faire rayonner l’université dans la collectivi­té.

«Avec la demande de la direction, on irait vers un modèle d’université­s à deux vitesses: les grandes université­s de recherche et les université­s en région, qui feraient moins de recherche», déplore Jason Luckerhoff.

Dans une lettre envoyée à la communauté universita­ire au début du lockout, le recteur Daniel McMahon a expliqué que le gouverneme­nt force l’UQTR à contrôler ses coûts. L’établissem­ent a fait des déficits chaque année depuis 2014-2015. Le déficit prévu est de 10,7 millions pour 20172018 (le chiffre sera confirmé au cours de l’été). Jointe par Le Devoir, la direction de l’UQTR a refusé de faire tout commentair­e sur le conflit.

Les professeur­s de toutes les université­s ont les yeux tournés vers l’UQTR. Ils ont hâte de voir si avec la méthode dure, ça passe ou ça casse pour les syndiqués.

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PHOTOS VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Avec pancartes et sifflets, une longue file de professeur­s a manifesté vendredi dans les rues de Trois-Rivières.
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René Lesage, négociateu­r du syndicat, s’est adressé aux syndiqués sur l’heure du midi vendredi.

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