Konrad Yakabuski
Les chemins ensoleillés d’Andrew Scheer
Qui profitera de la mort annoncée du Bloc québécois? Cette question préoccupe les stratèges politiques depuis le début de la crise interne au Bloc provoquée par le leadership contesté de Martine Ouellet. Peu de gens s’attendent à ce que la formation politique, qui a dominé la scène fédérale au Québec pendant deux décennies, jusqu’en 2011, sorte de son marasme actuel dans un état assez robuste pour peser dans la balance lors des prochaines élections en 2019. Quant à Québec debout, le nouveau parti que souhaitent former les sept députés bloquistes qui ont quitté le giron plus tôt cette année, ses perspectives ne semblent pas plus prometteuses.
Ironie du sort, certains analystes pensent que les libéraux de Justin Trudeau seront les premiers gagnants de l’affaiblissement du Bloc. Selon eux, la division du vote québécois en 2015 aurait privé les libéraux de la victoire dans plusieurs circonscriptions de la province. Encore dominantes dans les sondages au Québec, les troupes de M. Trudeau espèrent profiter des déboires du Bloc et du Nouveau Parti démocratique de Jagmeet Singh pour consolider le vote. Dans une course à deux, entre les libéraux de M. Trudeau et les conservateurs d’Andrew Scheer, les Québécois voteraient rouge, permettant aux libéraux de gagner encore plus de sièges dans la province que les 41 qu’ils détiennent actuellement.
Pas si vite, disent les conservateurs. Dans la tournée québécoise qu’il a entreprise le mois dernier, M. Scheer répète à tous ceux qui veulent bien l’entendre que les électeurs bloquistes désenchantés devraient se sentir chez eux dans son parti. Respectueux des champs de compétences des provinces, déterminé à mettre fin à l’entrée au pays des migrants «illégaux» et à protéger la gestion de l’offre, ouvert à une taxe « Netflix » et soucieux de s’assurer que le Québec obtienne sa part des contrats militaires, M. Scheer se dit plus proche des préoccupations de ces électeurs que tout autre chef fédéraliste. Comme il le dirait lui-même dans sa langue maternelle : what’s not to like ?
Le passage de M. Scheer à Tout le monde en parle dimanche dernier a eu le mérite de le différencier de son prédécesseur, Stephen Harper, qui avait fini par repousser les électeurs québécois avec son style autoritaire et ses politiques à droite, et qui avait aussi toujours refusé l’invitation de participer à l’émission phare de Radio-Canada. Bien que les cotes d’écoute de la dernière émission de la saison de TLMEP aient été parmi ses plus basses — la vaste majorité des téléspectateurs québécois ayant préféré regarder la grande finale de La voix à TVA —, il s’agissait du plus grand auditoire québécois auquel M. Scheer pouvait s’adresser depuis qu’il est devenu chef du Parti conservateur du Canada il y a un an ce mois-ci. Pari réussi. S’il n’a pas marqué l’esprit des téléspectateurs autant que la boxeuse MarieÈve Dicaire, aussi parmi les invités de cette émission, M. Scheer s’est présenté comme un homme droit et souriant, drôle à sa façon, qui n’imposerait jamais ses valeurs chrétiennes personnelles à autrui. What’s not to like?
Le conseil général de l’aile québécoise du PCC qui a lieu cette fin de semaine à Saint-Hyacinthe sera une occasion de montrer l’enthousiasme grandissant des troupes conservatrices en vue des prochaines élections. La présence du maire trifluvien Yves Lévesque y serait un indice supplémentaire que la cote du parti est à la hausse au Québec.
Bien sûr, les conservateurs ont perdu aux mains des libéraux la circonscription du LacSaint-Jean lors d’une élection complémentaire en automne dernier. Et on ne s’attend pas à ce que le PCC crée la surprise en gagnant la prochaine complémentaire dans la circonscription de Chicoutimi-Le Fjord, surtout après que M. Trudeau a annoncé cette semaine une aide fédérale à un investissement conjoint de Rio Tinto et d’Alcoa dans la région.
On soupçonne que M. Scheer serait content de simplement garder en 2019 les 11 sièges que le PCC détient déjà au Québec. Il serait aussi bien sûr ravi de gagner une poignée de circonscriptions supplémentaires, en commençant par Trois-Rivières s’il parvenait à convaincre M. Lévesque de s’y présenter pour le PCC. Avec les députés Alain Rayes et Gérard Deltell, devenus des valeurs sûres du PCC, non seulement au Québec, mais aussi aux yeux de leurs collègues à la Chambre des communes, M. Scheer cherche à formuler une plateforme électorale qui aurait tout pour plaire aux Québécois.
Chez les conservateurs, on ne veut pas créer d’attentes, surtout qu’une performance décevante de M. Scheer en 2019 mènerait indubitablement à une nouvelle course à la chefferie au PCC. Mais l’optimisme sera au menu du conseil général du PCC. What’s not to like?