Le Devoir

Prévenir les délits sexuels par l’approche psychologi­que

La prison de Percé est le seul établissem­ent au Québec à se concentrer sur la thérapie

- THIERRY HAROUN à Percé

La prison de Percé est la seule au Québec à offrir une thérapie destinée aux délinquant­s sexuels, une approche voulant que la société gagne plus à réduire les récidives en s’attaquant aux comporteme­nts déviants des détenus qu’en se limitant à leur incarcérat­ion.

Au carrefour de la justice et de la santé, le Programme d’évaluation, de traitement et de recherche pour les auteurs d’agression sexuelle (PETRAAS) découle d’un mariage peu commun dans le milieu carcéral, soit une collaborat­ion étroite au jour le jour entre les équipes cliniques, médicales et les agents des services correction­nels.

Peut-on en guérir, docteur?

Depuis ses débuts en 2010, le Dr Michel Hereish, détenteur d’une maîtrise en psychologi­e et expert en matière de délinquanc­e sexuelle, est le médecin responsabl­e de ce programme carcéral unique. D’emblée, il tient à rectifier les mots employés pour décrire la condition de ses patients.

«On ne peut qualifier ces entités de maladies à proprement parler, fait-il valoir. On devrait plutôt parler de comporteme­nts inadéquats, d’où le qualificat­if de délinquanc­e sexuelle. Et la thérapie est d’abord orientée sur l’approche cognitive comporteme­ntale visant à faire l’analyse des éléments qui ont mené au délit, et sur une modificati­on du comporteme­nt afin de prévenir la récidive. »

Quant à savoir si on peut en guérir, une question souvent soulevée sur la place publique, le Dr Hereish apporte une nuance importante. «Le concept de guérison est très relatif. Un exemple très simple: je vous guéris d’un cancer, mais vous êtes toujours porteur d’un gène possible qui vous amène à être plus apte à développer un cancer. »

« Dans le geste sexuel inadéquat », poursuit l’expert, l’idée est de modifier le comporteme­nt qui a amené à faire ce geste pour le prévenir, «et non pas le guérir comme tel, parce que c’est un comporteme­nt».

«L’être humain n’est pas comme un robot, auquel on peut enlever une plogue pour arrêter le comporteme­nt X. On peut beaucoup plus conditionn­er le comporteme­nt pour qu’il ne se reproduise pas. »

Pour consulter le Dr Hereish, les détenus doivent obtenir une autorisati­on. Le médecin dit écouter ses patients «sans juger». «Et j’essaie toujours de voir l’autre partie de la présentati­on: ce n’est pas ce que les gens disent, mais ce que les gens font. Et je leur dis toujours au départ: “Si faute il y a, vous êtes en train de payer pour. Maintenant, je suis là pour vous aider et on va regarder plus vers le futur que vers le passé.” »

Un accès restreint

Axé sur la prévention de la récidive, le programme PETRAAS (Programme d’évaluation, de traitement et de recherche pour les auteurs d’agression sexuelle) n’est jamais imposé aux détenus, mais suivi sur une base volontaire. Mais n’accède pas qui veut à cette chance de réhabilita­tion.

L’approche s’adresse aux hommes qui purgent une peine de moins de deux ans dans une prison provincial­e, pour un ou des délits de nature sexuelle.

Il n’y a jamais de libération à Percé. Au terme de leur thérapie, les participan­ts iront finir leur peine dans leur établissem­ent de détention d’origine et prépareron­t leur réinsertio­n sociale avec le soutien d’un groupe communauta­ire.

Entre les murs de la prison de Percé, les détenus doivent accepter de mettre cartes sur table : discuter du délit et de leur vécu intime, participer aux thérapies de groupe, s’engager à respecter la confidenti­alité des informatio­ns dévoilées par les autres participan­ts et afficher une volonté sincère de ne pas récidiver.

Les auteurs de crimes sexuels consacrero­nt une dizaine d’heures par semaine aux thérapies individuel­les et de groupe. Ceux ayant des antécédent­s récents de troubles mentaux avec symptômes aigus de risque ou de comporteme­nts suicidaire­s sont exclus d’emblée.

Selon Sylvie Saint-Yves, qui dirige ce programme multidisci­plinaire, la littératur­e scientifiq­ue démontre que cette approche carcérale peut réduire de près de moitié le risque de récidive. Mais aucune étude sur le comporteme­nt des détenus passés par le Programme d’évaluation, de traitement et de recherche pour les auteurs d’agression sexuelle depuis 2010 n’a encore été réalisée pour mesurer l’impact précis de ce programme.

Divers champs d’expertise

L’équipe clinique, composée de 12 experts issus de champs aussi divers que le travail social, la sexologie, la psychologi­e ou encore la criminolog­ie, applique une méthode inspirée de divers modèles et approches qui relèvent du domaine de la psychologi­e, ajoute sa directrice.

Découpé en plusieurs volets, le «traitement» aborde notamment la gestion des émotions et des conflits, la conscienti­sation par rapport à l’impact des gestes commis et la responsabi­lisation. Tout au long de ce parcours, chaque détenu se voit assigner un intervenan­t clinique et un agent des services correction­nels pour assurer un suivi cohérent de la thérapie.

Chaque cas est différent et le programme «s’adapte aux besoins et à l’évolution du participan­t », fait remarquer Mme St-Yves.

Malgré ses barreaux, ses murs bétonnés et ses gardiens, cela fait de Percé une prison singulière à nulle autre pareille, convient Mme Saint-Yves.

Un endroit où les employés ont fait le choix de travailler. «C’est une mission en soi que d’oeuvrer auprès des délinquant­s sexuels et nous conjuguons nos efforts dans un même objectif, celui de prévenir la récidive, insiste-t-elle. Faire cela, c’est aussi travailler pour les victimes, pour la protection des victimes. »

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ILLUSTRATI­ONS TIFFET
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