Une « remise de diplômes » avant le retour dans la société
La transition : une étape clé de la réhabilitation
«Plus
de 90 % des auteurs de crimes sexuels ne sont jamais dénoncés ni condamnés, alors obtenir une peine, c’est déjà une reconnaissance immense de ce
victimes» qu’ont subi les femmes Catherine Rossi, professeure agrégée en criminologie à l’Université Laval
«Il
y a un opprobre social par rapport à ces délits. Et il y a des maisons de transition qui excluent les délinquants
simplement.» sexuels purement et
David Henry, directeur général de l’Association des services de réhabilitation sociale
De tous les détenus du réseau carcéral, les délinquants sexuels sont parmi les plus stigmatisés à leur sortie de prison. Plus que la détention et la thérapie, la transition constitue une étape clé dans la réhabilitation.
En cet après-midi de mai, la prison de Percé a pris des airs de petite école pour la «cérémonie de reconnaissance» qui signe la fin du passage de plusieurs détenus dans ce lieu de thérapie. Une sorte de «remise de diplômes» où se télescopent rires et pleurs pour ceux qui s’apprêtent à renouer avec la « vraie vie ».
Les détenus ont de 30 à 60 ans. Ils sont huit, issus de Québec et de Montréal, à avoir terminé avec succès leur thérapie de six mois. Certains d’entre eux portent une croix de bois au cou. L’ambiance de départ est plutôt conviviale lors de ce rite de passage auquel Le Devoir a pu assister.
Entourés de l’équipe clinique, des agents, de l’infirmière des lieux et de l’aumônier de service, les auteurs de crimes sexuels prendront tour à tour brièvement la parole, habités par l’émotion.
«Je ne regrette pas d’être venu ici, finalement. J’ai fini par comprendre des choses», dit l’un d’eux. «Cette thérapie permet de soigner l’esprit, c’est un pas vers un bien-être spirituel», dit un autre. «Moi, dès que j’ai eu ma sentence, j’ai tout de suite demandé de venir ici parce que j’avais entendu dire que la thérapie est unique au monde», fait valoir un autre.
Certains d’entre eux craquent, déstabilisés par un trop-plein d’émotions. «On ne se sent pas jugés ici, vous savez. Je voulais le dire avant de partir…», confie l’un d’eux, alors qu’un collègue assis derrière sanglote à chaudes larmes. Il finit par dire qu’il s’est senti «respecté». Les langues se délient. Un autre détenu avoue pleurer pour la première fois en 25 ans. Puis, les rires nerveux reprennent malgré l’étape difficile qui les attend: celle de la réinsertion sociale.
Maisons de transition
Une fois leur thérapie achevée, les détenus de Percé retournent dans leur prison d’origine avant d’être dirigés vers une maison de transition, où ils séjourneront plusieurs semaines ou plusieurs mois, selon les recommandations de la Commission québécoise des libérations conditionnelles.
Et une fois dans ces lieux, les objectifs à atteindre sont établis dans un plan d’intervention défini par les Services correctionnels, rappelle David Henry, directeur général de l’Association des ser vices de réhabilitation sociale, regroupant une trentaine de maisons de transition. Plusieurs d’entre elles ont déjà reçu des détenus de Percé.
«On n’essaie pas de les transformer, mais plutôt de faire en sorte qu’ils deviennent des acteurs positifs dans la société. C’est vraiment l’accompagnement sur le terrain», explique ce dernier.
David Henry reconnaît toutefois que le retour des délinquants sexuels dans la société s’avère plus complexe que pour les autres détenus, «parce qu’il y a un opprobre social par rapport à ces délits. Par ailleurs, il y a des maisons de transition qui excluent les délinquants sexuels, purement et simplement ».
Avec le temps, «ces maisons se sont beaucoup professionnalisées. Leurs responsables ont des diplômes en criminologie, en sexologie, en travail social et en psychologie. Et leurs services auprès de cette clientèle sont divers. Ça peut être sur le plan de l’employabilité, d’un retour aux études, d’une formation professionnelle, de la recherche d’un logement. Ou encore, ça peut consister à les aider dans leurs démarches pour obtenir de l’aide sociale », indique M. Henr y.
D’une thérapie à l’autre
À la sortie de prison, renouer avec le monde extérieur suppose parfois de passer à nouveau par la thérapie, explique Katia Lavallée, directrice du Centre d’entraide et de traitement des agressions sexuelles. Son organisme, situé à Saint-Jérôme, a accueilli plusieurs détenus ayant suivi le Programme d’évaluation, de traitement et de recherche pour les auteurs d’agression sexuelle (PETRAAS) à Percé.
«Nous devons répondre aux recommandations qui ont été formulées à la sortie du programme. Souvent, les intervenants vont recommander de continuer le traitement en communauté, notamment pour poursuivre les objectifs thérapeutiques qui n’ont pas été atteints lors du programme intra-muros. »
La réinsertion sociale est-elle possible pour des délinquants sexuels? «Ça dépend des personnes. Pour certains, ça se passe bien, mais pour d’autres, c’est plus difficile. Et tout dépend de l’attitude de la personne. Les gens qui reconnaissent leur problème, leur responsabilité, vont généralement mieux s’intégrer, contrairement à ceux qui sont dans la minimisation et la banalisation», dit-elle.
Claire Deschambault dirige le Groupe Amorce, un organisme d’entraide et de thérapie à Montréal destiné aux hommes ayant des comportements ou des fantasmes sexuels associés à la pédophilie. Elle accueille de cinq à dix détenus chaque année en provenance de la prison de Percé.
« C’est sûr que le degré de reconnaissance [de ces délits] va avoir un impact sur la réintégration. Tant et aussi longtemps que l’individu ne reconnaît pas sa responsabilité ni sa délinquance et ses difficultés personnelles, c’est difficile pour lui de modifier ses comportements et donc de renouer avec ses proches», estime Mme Deschambault.
«Notre mandat général vise la réduction des méfaits pour diminuer le risque de récidive. Mais on vise aussi la réinsertion sociale, et ce, pour l’ensemble de notre clientèle, pas juste celle de Percé. »