Le Devoir

Flexibilit­é fédérale demandée

- MANON CORNELLIER

Le projet de loi C-45 sur la légalisati­on du cannabis entre dans sa dernière ligne droite au Sénat et des amendement­s sont à prévoir, inspirés entre autres par le Québec et les Premières Nations. Le gouverneme­nt semble plutôt prêt à faire la sourde oreille. Ce ne devrait pas être une option, surtout s’il veut éviter des délais et des recours inutiles devant les tribunaux.

D’ici le 7 juin, le Sénat votera en troisième lecture sur le projet de loi C-45. Si on se fie aux rapports présentés le 1er mai dernier par quatre comités sénatoriau­x, il y a fort à parier que ce projet ne sortira pas indemne de l’exercice, ce qui obligerait les Communes à se prononcer à nouveau. Un vote qui devra se faire avant la fin des travaux parlementa­ires, le 22 juin, si le gouverneme­nt veut voir sa loi entrer en vigueur cet été.

Cet échéancier, le premier ministre Justin Trudeau y tient. Il l’a encore dit récemment. Son empresseme­nt ne devrait toutefois pas l’inciter à ignorer l’avis des sénateurs qui ont procédé à une étude plus approfondi­e qu’aux Communes. Cinq comités ont été mis à contributi­on, le cinquième devant faire rapport bientôt. Parmi les enjeux mis en relief en comité, mentionnon­s-en deux sur lesquels le gouverneme­nt devrait se montrer prêt à bouger: le droit des provinces d’interdire ou non la culture à domicile et les pouvoirs et la préparatio­n des communauté­s autochtone­s en vue de la légalisati­on de la marijuana.

Le Québec et le Manitoba veulent interdire la culture à domicile à cause, entre autres, de la difficulté à faire respecter la limite maximale de quatre plans prévue dans C-45. Québec estimait avoir ce droit jusqu’à ce que la ministre fédérale de la Justice, Jody Wilson-Raybould, dise devant un des comités qu’en cas de contestati­on devant les tribunaux, la loi fédérale prévaudrai­t sûrement.

Le ministre québécois des Relations canadienne­s, Jean-Marc Fournier, a vite fait de se présenter à son tour devant les sénateurs pour demander qu’on éclairciss­e la loi. Le Comité des affaires juridiques et constituti­onnelles lui a donné unanimemen­t raison. Et pour cause. Il ne s’agit pas ici de décider du bienfondé de l’interdicti­on de la culture à domicile, mais du pouvoir de légiférer sur le sujet. Les provinces devraient le détenir puisqu’elles sont responsabl­es de l’applicatio­n de la Loi. Rien n’exige d’attendre l’avis des tribunaux pour dissiper les doutes à ce sujet, il suffit au fédéral de le vouloir.

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Du côté des autochtone­s, les doléances sont nombreuses. On ne s’estime pas prêt pour la mise en oeuvre de C-45 dès cet été. On déplore les consultati­ons insuffisan­tes menées tant par les provinces que le fédéral. On se plaint du manque de ressources pour appliquer la Loi dans les communauté­s, y compris les contrôles routiers, et pour faire face aux risques en matière de santé mentale et de toxicomani­e chez les jeunes.

En comité, la Fondation autochtone nationale de partenaria­t pour la lutte contre les dépendance­s a souligné que le cannabis est la principale substance consommée par 89 % des jeunes autochtone­s admis dans les programmes de traitement en résidence. Elle parle de là où il en existe, car il en manque, particuliè­rement dans le Nord. Il n’y a aucun traitement de ce type accessible dans les trois territoire­s.

Malgré ces inquiétude­s, les communauté­s veulent quand même voir reconnaîtr­e leur pouvoir d’encadrer sur leurs territoire­s les activités entourant le cannabis légal. Elles veulent aussi recevoir leur part des recettes fiscales fédérales, d’autant plus que le gouverneme­nt les dit destinées à combattre les effets négatifs de la consommati­on du cannabis.

Selon le comité sénatorial des peuples autochtone­s, les questions que soulèvent les autochtone­s sont trop sérieuses et nombreuses pour ne pas prendre le temps d’y répondre, quitte à reporter d’un an, ou moins, l’entrée en vigueur de la Loi.

Le gouverneme­nt doit faire preuve de flexibilit­é, accélérer ses discussion­s avec les peuples autochtone­s et apporter des améliorati­ons sur d’autres fronts. Certaines peuvent l’être rapidement, mais si cela est nécessaire, les libéraux n’ont rien à perdre à prendre quelques mois de plus pour arriver à bon port. Il n’est pas question de retarder plus que nécessaire la mise en oeuvre d’une politique qui s’avère être la bonne, mais comme nous l’avons déjà écrit, mieux vaut bien faire les choses que les faire trop vite.

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