Le Devoir

Le miracle du Devoir tient à ses abonnés

- BRIAN MYLES Directeur du Devoir

La transforma­tion de La Presse en organisme à but non lucratif (OBNL) est symptomati­que des difficulté­s rencontrée­s par les médias traditionn­els à l’ère du numérique. L’époque où ils pouvaient se financer à même la publicité est révolue. Google et Facebook captent désormais 80% des revenus de publicité numérique, et la tendance monopolist­ique ne fléchira pas.

Il n’y a pas lieu de se réjouir des difficulté­s financière­s de La Presse. Ce média et ses artisans contribuen­t à la pluralité et à la diversité des voix dans une société démocratiq­ue. L’annonce faite cette semaine par Power Corporatio­n et la famille Desmarais démontre malheureus­ement que personne n’a encore trouvé le modèle d’affaires définitif qui permettra aux médias de se projeter dans l’avenir avec un relatif sentiment de quiétude. C’est un défi titanesque auquel se consacrent les éditeurs de presse. À ce chapitre, les artisans, les lecteurs et les donateurs qui soutiennen­t Le Devoir ne peuvent que constater le peu de réflexion, dans le débat public, sur le modèle d’affaires fondé sur l’abonnement.

Ce modèle a permis au Devoir de perdurer et de retrouver, en 2017, une situation financière saine en dépit de la crise des médias qui nous oblige à rester sur nos gardes et à ne rien tenir pour acquis. Le Devoir tire maintenant 70% de ses revenus des abonnement­s (imprimé et numérique), et il compte faire passer ce taux à 80 % d’ici 2020.

Le Devoir a résisté à la diminution globale des revenus de publicité. Le miroir éclaté, une étude produite par le Forum des politiques publiques, indiquait que Le Devoir avait préservé, en 2016, 92% de ses revenus totaux par rapport à 2011, contre 69% dans le reste de l’industrie. De nombreux journaux de qualité, dont Le Monde et le New York Times, misent sur un modèle d’abonnement­s. Dans ce modèle, la valeur de l’informatio­n provient du prix que les lecteurs sont prêts à payer pour soutenir le journalism­e de qualité.

Ce modèle ne conviendra pas à tous les médias, mais il sied parfaiteme­nt au Devoir, un quotidien qui existe d’abord et avant tout pour ses lecteurs, et ce, depuis 1910.

Les Amis du Devoir

D’ailleurs, la philanthro­pie a toujours fait partie de notre histoire, dès la création d’une première société des Amis du Devoir, en 1915. Dans leur incarnatio­n moderne, Les Amis du Devoir (un OBNL à charte fédérale constitué en 2014) nous ont permis de faire de la philanthro­pie une source de revenus pérenne et de constituer une équipe dévouée à cette mission. La philanthro­pie n’est pas une panacée. Malgré le succès inespéré de notre campagne de soutien en 2017, qui nous a permis d’amasser plus de 600 000$ auprès de quelque 2000 donateurs uniques, la philanthro­pie demeure une source de revenus complément­aire aux abonnement­s.

Le Devoir n’est pas un OBNL. C’est une entreprise à but lucratif qui bénéficie du soutien d’actionnair­es patients tels que le Fonds de solidarité de la FTQ, le Mouvement Desjardins, Fondaction, le Syndicat de la rédaction du Devoir, les familles Véronneau, Sirois et Lamarre. Fait à souligner, le syndicat de la rédaction siège au conseil d’administra­tion de l’entreprise, ce qui permet d’assurer une transparen­ce et une adhésion des employés à nos projets.

L’indépendan­ce du Devoir est totale. Le directeur, nommé par la Fiducie de Henri-Bourassa du 31 décembre 1928, conserve 51% des votes au conseil d’administra­tion du Devoir par le contrôle qu’il exerce sur le bloc d’actions de l’Imprimerie populaire ltée. Il nomme sept administra­teurs sur quatorze, et le président est désigné par un vote majoritair­e du conseil, sur recommanda­tion du directeur. Les Amis du Devoir possèdent de leur côté leur propre conseil d’administra­tion auquel siège aussi le directeur.

Cette structure a connu des modificati­ons au gré des plans de relance et de recapitali­sation, sans jamais sacrifier l’essentiel. Le Devoir reste faroucheme­nt indépendan­t.

Ottawa doit agir

Le Devoir suit de très près la réflexion entreprise à Ottawa afin de soutenir le virage numérique des entreprise­s de presse et de rendre les dons aux médias déductible­s d’impôt.

Cet éveil tardif est le bienvenu. Dans son dernier budget, le gouverneme­nt du Québec a réservé 65 millions, dans les cinq prochaines années, afin d’instaurer un crédit d’impôt remboursab­le de 35% visant à appuyer la transforma­tion numérique des entreprise­s de presse. Ce programme est réfléchi à plus d’un égard: l’État reste à distance des salles de rédaction dans la mesure où les dépenses en journalism­e ne sont pas admissible­s au crédit d’impôt; l’aide fiscale est d’une durée transitoir­e de cinq ans; les mesures bénéficien­t à l’ensemble de l’industrie et elles encouragen­t la prise de risque et l’innovation dans le développem­ent numérique. Ottawa pourrait apporter sa contributi­on et bonifier ce crédit d’impôt en utilisant les mêmes critères que Québec et en s’assurant d’élaborer des politiques équitables pour l’ensemble des éditeurs.

Rendre les dons aux médias déductible­s d’impôt est également une avenue intéressan­te. Si Ottawa décide d’aller de l’avant, il devra accorder aux Amis du Devoir, un OBNL, le statut d’organisme de bienfaisan­ce qualifié pour remettre des reçus d’impôt à ses donateurs. Par sa structure, son utilité sociale et son modèle, Le Devoir serait ainsi en mesure de rehausser ses efforts de philanthro­pie. Cette mesure aurait également l’avantage, pour les gouverneme­nts, de placer entre les mains des citoyens la décision de soutenir le journalism­e.

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GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR
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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Brian Myles

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