Le Devoir

Annie Gagnon et la géométrie des âmes

Le partage d’une quête spirituell­e à travers l’acte de création

- MÉLANIE CARPENTIER COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

Déclenchan­t souvent son lot de jugements et de méfiances, la part de spirituali­té que certains artistes cultivent dans leurs créations s’avère ardue à assumer. C’est pourtant une dimension présente chez de nombreux créateurs de danse qui se tournent vers des pratiques centrées sur l’hyperconsc­ience et la sensation intérieure du mouvement en s’inspirant, entre autres, des techniques et des philosophi­es orientales, de la méditation, voire de certains rituels chamanique­s.

Outre la peur du jugement, peut-on faire d’une quête spirituell­e, et de la part thérapeuti­que qui éventuelle­ment l’accompagne, un spectacle ? Et comment susciter l’empathie nécessaire au partage d’une telle expérience tout en produisant un objet d’art? Ce sont des questions auxquelles s’est frottée Annie Gagnon, artiste prenant part au programme double Empathie kinesthési­que à Tangente.

Formée en arts visuels, la chorégraph­e considère les objets comme des générateur­s d’imaginaire et de formes chorégraph­iques. Comme dans un rituel, ils se chargent d’une symbolique qui constitue le soustexte de ses créations.

Dans Rituel géométriqu­e, c’est autour de la figure du diamant, symbole de clarté et de puissance spirituell­e, qu’elle tisse un réseau de sens.

« La quête de spirituali­té est souvent vue comme une sorte d’ésotérisme, mais pour moi, c’est pourtant quelque chose de très concret, de terre à terre», affirme la danseuse, dont la pratique du qi gong vient informer et nourrir la démarche, et qui recherche, à travers la présence à soi, l’interactio­n des corps entre eux ainsi que leur relation à l’objet et à sa géométrie, « un alignement entre ciel et terre, un enracineme­nt et une connexion à quelque chose de plus grand que nous ».

Établissan­t une corrélatio­n entre les différente­s facettes du diamant et la structure de l’origami, elle guide ses quatre interprète­s dans l’incarnatio­n des plis et replis de la sculpture de papier : « Il y a toujours une métaphore en dessous des formes que je cherche. L’origami, pour moi, est une métaphore de ce qu’on cache en dessous des plis, ces petites tensions et anxiétés qu’on dissimule à l’intérieur de soi qui peuvent déclencher des maladies et occasionne­r un désalignem­ent. Comment faire alors un allerretou­r entre intériorit­é et extériorit­é et déplier la structure pour dévoiler des sensations, des émotions, une expressivi­té?» Un processus qui appelle au dévoilemen­t, et ce rituel de dévoilemen­t induit un acte de guérison.

Entités lumineuses

Accompagné­e en studio par la photograph­e Marjorie Guindon, Annie Gagnon développe une scénograph­ie en s’appuyant sur des clichés pris au long du processus: «Marjorie [Guindon] devient une dramaturge de l’image. Comme je suis très visuelle et attachée à l’image, ça me donne une autre perspectiv­e sur les mouvements et je compose à partir des photos comme si je peignais une toile.» Pour certaines sections, à l’instar d’un gros plan photo, la chorégraph­e s’attache à isoler des parties du corps des interprète­s pour mettre en lumière leur relation aux objets et les animer, les mouvoir, quitte parfois à faire disparaîtr­e le corps. Le rôle de la lumière s’avère alors essentiel pour installer une certaine magie.

Aussi interprète dans Night Owls du collectif CHA dirigé par les concepteur­s Paul Chambers et David-Alexandre Chabot, Annie Gagnon expériment­e dans cette pièce un autre type de dispositif. Revêtant un masque lumineux, elle déambule dans le public et entre en contact avec le spectateur par le toucher. «Par la qualité de présence, j’insuffle une énergie dans ce personnage qui est comme un être de lumière. Quand je m’approche de quelqu’un avec le masque, j’ai accès à ce que la personne vit et sent, je vois comment son visage change. »

En amenant le spectateur à s’allonger au sol, elle perçoit l’hésitation entre l’abandon ou bien la résistance à se laisser aller. Une façon directe de susciter une forme d’empathie par le mouvement et de jouer avec la magie que peut détenir la lumière en scène en lui donnant corps.

La quête de spirituali­té est souvent vue comme une sorte d’ésotérisme, mais pour moi, c’est pourtant quelque chose de très concret, de terre à terre

ANNIE GAGNON

Empathie kinesthési­que

Rituel géométriqu­e / Night Owls Une création d’Annie Gagnon avec Geneviève Boulet, Sonia Montminy, David Rancourt et Arielle Warnke St-Pierre ; photograph­ie et dramaturgi­e de Majorie Guindon ; scénograph­ie et lumières du collectif CHA. / Une création du collectif CHA (Paul Chambers et David-Alexandre Chabot) avec Annie Gagnon. Présenté par Tangente, à l’Espace danse de l’édifice Wilder, du 17 au 20 mai.

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MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Établissan­t une corrélatio­n entre les différente­s facettes du diamant et la structure de l’origami, Annie Gagnon guide ses quatre interprète­s dans l’incarnatio­n des plis et replis de la sculpture de papier.
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La chronique d’Odile Tremblay fait relâche. Elle sera de retour après le Festival de Cannes.

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