Le Devoir

Houston Person, saxophonis­te en eaux profondes

Entretien avec celui qui affectionn­e le son lourd à la veille de son passage à Montréal

- SERGE TRUFFAUT COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Année après année, depuis 65 ans, le saxophonis­te Houston Person propose un album. Il est, à cet égard, aussi ponctuel qu’une montre suisse catégorie Zurich. Année après année, depuis autant de temps, il tourne. Il va de par le monde. Parfois seul, d’autres fois en formation. Le 30 juin, dans le cadre du Festival internatio­nal de jazz de Montréal (FIJM), il se produira avec Emmet Cohen au piano, Russell Hall à la basse et Evan Sherman à la batterie, au Upstairs. Bien.

Il faut le savoir et le souligner : Person est le dernier représenta­nt d’une lignée de saxophonis­tes qui se distingua par son inclinatio­n prononcée pour le son pesant. Un son lourd, ample et profond qui se caractéris­a par son souci pour le relief, soit le contraire d’un son lisse, bien propre. Coleman Hawkins d’abord et Ben Webster ensuite établirent les canons du genre. Après eux, Don Byas, Eddie Lockjaw Davis, Arnett Cobb, Frank Foster et deux ou trois autres qu’on oublie ont creusé pendant des lunes les mêmes sillons.

Aujourd’hui, on le répète, Person est le porte-étendard de ce genre qui emprunta beaucoup, beaucoup au gospel et au blues qu’ignorent la majorité des labels contempora­ins, ceux-ci ayant opté pour les musiques actuelles tout en se réclamant du jazz. Ce qui est le comble de l’outrance. Voire d’un racisme qui ne dit pas son nom. On a joint notre homme chez lui.

Après avoir rappelé le commentair­e que David Murray nous avait fait concernant l’enseigneme­nt du jazz et son effet pervers — un son identique —, Person a répondu comme suit à notre entrée en matière: «Je suis d’accord avec vous. D’autant plus que je crois aux valeurs du gros son [the pretty big sound]. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, les plus jeunes ne sont pas à la recherche de leur individual­ité. »

Il est bon de le rappeler, Murray disait aussi que les big bands faisaient office d’université pour les saxophonis­tes de la génération de Person et de ceux qui l’ont précédé. Il ajoute que les vétérans refusaient de partager leurs secrets avec eux afin justement de les forcer à trouver leur propre identité. À l’aise avec cette lecture, M. Person? «Écoutez, en ce qui concerne les big bands, une chose très importante doit être soulignée: le respect de la mélodie était sacré. Prenez tous les saxophonis­tes que vous avez nommés. Écoutez le même standard joué par eux. Vous constatere­z qu’ils ont chacun un son qui singularis­e le standard de celui des autres. Et c’est le respect de la mélodie qui l’explique. »

Avec le contrebass­iste Ron Carter, le saxophonis­te a enregistré des albums en duo ainsi qu’avec le pianiste Bill Charlap. Cette formule vous plaît, M. Person? « Avec Carter, nous avons enregistré sept disques en duo. Il y a des années de cela, j’en ai réalisé un avec Les McCann ainsi qu’avec Ran Blake, il y a trente ans de cela. Ce que j’aime dans cette formule, c’est son exigence. Et puis, le duo, c’est le jazz de salon par excellence. »

Il y a quelques semaines de cela, Person a publié sur High Note un album intitulé Rain or Shine en compagnie notamment du trompettis­te Warren Vaché. Et alors? S’il reprend ne serait-ce que la moitié du programme de cet album, alors on aura entendu un sculpteur de la catégorie poids lourd.

Ce que j’aime dans cette formule, c’est son exigence. Et puis, le duo, c’est le jazz de salon par excellence. HOUSTON PERSON

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ALAIN MERCIER Le 30 juin, dans le cadre du Festival internatio­nal de jazz de Montréal, Houston Person se produira avec Emmet Cohen au piano, Russell Hall à la basse et Evan Sherman à la batterie, au Upstairs.

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